Il était une fois, dans un pays touristique, une station balnéaire où les gens s’ébattaient joyeusement dans les flots tumultueux de l’Atlantique. Dans cette baie superbe, fer de lance de la politique touristique du royaume chérifien, une atmosphère des plus joviales régnait, entretenue par les cris insouciants des enfants surexcités et les appels de balle maladroits des footballeurs occasionnels. C’est le moment qu’a choisi le protagoniste de cette chronique pour s’imposer avec autorité sur cette page. Cet homme – appelons-le Abdelquoudous – appartient au noble corps des Forces auxiliaires. En brodequins, béret posé sur l’oreille droite, il patrouille sur la plage d’un pas lourd, exerçant sa mission de maintien de l’ordre public avec un zèle qu’il va démontrer sans plus attendre. L’œil vif, il repère une tente fermée, plantée sur la plage. Pour une raison connue de lui seul, il l’ouvre et, portable à la main, photographie ce qui s’y trouve. Il surprend ainsi un jeune couple en pleine intimité qui, disons-le clairement, se faisait des bisous 7achakoum. Scandale ! N’écoutant que son sens du devoir, Abdelqoudous propose d’emmener au poste les impudiques, et exhibe son portable comme un trophée, très fier de sa prise. Le couple – la vingtaine, l’allure modeste – est effondré. Ils expliquent qu’ils sont sur le point de se marier, et après la douceur des lèvres de sa copine, le garçon se met à embrasser littéralement les brodequins de l’agent d’autorité qui, tout entier dévoué à sa cause, ne se laisse pas attendrir. Un attroupement se forme, au grand dam des jeunes délinquants qui voient poindre à vive allure la chouha tant redoutée. Mais il fallait bien un héros à cette histoire. Il se présente aussitôt sous la forme d’un avocat qui, lui aussi, avait choisi cette paisible baie pour ses vacances à lui, halal dans son cas. Il plaide la cause du jeune couple, obtient la libération de la jeune fille, mais se heurte à un mur pour le cas du garçon. À force de palabres, sous la menace des réseaux sociaux, et devant la volonté de l’avocat de suivre l’affaire au poste, l’agent d’autorité abandonne les charges. L’avocat récupère au passage une invitation pour le futur mariage du couple, car oui, il est vraiment programmé. C’est la fin de l’histoire et le début des conclusions, présentées ci-après en ordre aléatoire.
- Nous n’avons pas encore décidé d’être gouvernés par des lois. Au cours des discussions avec les agents d’autorité, il a été question de hchouma, de religion, de pardon, d’habitude, jamais de texte. Personne ne sait exactement ce qu’il a le droit de faire, ni le prévenu ni l’agent, mais ce n’est pas très grave, car nous préférons être jugés par des humeurs, des usages, des impressions, et au final, nous privilégions…
- Le rapport de force. Voici le mode de fonctionnement, un peu primitif, de notre société. La capacité de nuisance est bien le seul critère déterminant dans la relation entre le citoyen et l’autorité, ou, si vous préférez, entre le locataire et le propriétaire.
- Le malheureux fiancé est victime d’une oppression sexuelle, mais aussi économique, puisqu’à quelques mètres du lieu du délit se situe un hôtel de grande classe où les bisous sont autorisés, ainsi qu’un certain nombre de boissons peu halal. Mais, bien évidemment, aucun béret ne s’y risquerait.
- Il est aussi un peu victime de racisme, puisque jamais un étranger ne vivrait pareille mésaventure.
Zakaria Boualem vous laisse méditer sur cette affaire, mais avant, il voudrait vous livrer son sentiment : si on lâchait un peu la grappe aux gens, tout le monde serait plus détendu, et merci.