À l'épreuve du temps. La laïcité, cette incomprise !

Par Abdellah Tourabi

Selon une célèbre formule de Winston Churchill, “La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres”. La même chose pourrait être dite à propos de la laïcité, quand il s’agit de la relation entre la religion et la politique. Après des siècles de guerres de religion, de fanatisme, d’oppression des minorités religieuses, de despotisme exercé au nom d’un prétendu droit divin…, la laïcité est apparue en Occident, comme une manière optimale de dépasser ce genre de conflits et de drames. La laïcité a pris place pour assurer la liberté de culte et de conscience à tout le monde, inscrire dans le marbre de la loi le respect du pluralisme et promouvoir la tolérance et l’acceptation de l’autre. La laïcité, dans ce sens, est un pilier de la démocratie et une condition nécessaire pour vivre la modernité. Le lien de citoyenneté est le trait d’union qui rassemble les individus et leur permet de transcender les clivages et de vivre ensemble.

Au Maroc, l’évocation du mot laïcité suscite généralement deux types de réactions. La première est hostile et agressive. Elle considère la laïcité comme synonyme d’impiété, d’athéisme même, et voue aux gémonies ceux qui la défendent et la promeuvent. La seconde réaction voit la laïcité comme une solution pour gommer la religion de l’espace public. Selon cette vision, la religion apparaît comme une forme de superstition et de croyances irrationnelles qui précipitent la nation dans les abîmes de l’attardement culturel. Les deux approches se trompent et confondent plusieurs éléments. De par notre culture et notre histoire, les partisans de la laïcité ou ses adversaires se réfèrent directement ou indirectement au modèle français. Sauf que l’expérience de ce pays est spécifique et bien particulière. Elle s’est construite et forgée dans la douleur et porte les traces de siècles de conflits et de combats entre l’Église catholique et les forces laïques du pays. L’anticléricalisme et l’hostilité à l’emprise de la religion sur la société sont des données immuables dans la vie intellectuelle française. Concevoir la laïcité au Maroc sur le modèle français serait une aberration et un contresens historique et culturel.

Cela aboutit à ce que l’on constate dans certains milieux au Maroc, minoritaires certes, qui ont une vision “jihadiste” de la laïcité. Une perception, dédaigneuse et hautaine à l’égar d de la religion, qui était présente dans les mouvances de gauche dans les années 1970 et 1980, et qui leur a été fatale. En raison de cette posture, les militants de gauche se sont aliéné une grande partie de la population marocaine qu’ils étaient supposés défendre et porter leurs revendications. Or, il existe de nombreuses expériences dans le monde où la laïcité est moins combative et plus sereine. Aux États-Unis, la religion est partout : sur le dollar américain, dans les débats politiques, au cinéma, à la télé… mais l’État est laïc et est séparé de toute église. En Angleterre et dans les pays scandinaves, le monarque est aussi un chef religieux, mais les États sont parfaitement laïcs. La foi, revendiquée et exprimée publiquement, est alors respectée et sanctuarisée. Elle s’exerce d’une manière ostensible, mais dans le pluralisme et la diversité. La laïcité demeure donc le meilleur rempart et protection contre les différentes convictions, et vise à assurer un mieux-vivre collectif. C’est cela qui doit être notre objectif au Maroc.