Quatorze mois après l’ouverture du débat sur l’IVG (Interruption volontaire de grossesse), les espoirs d’une réforme poussée semblent déçus chez une partie de la société civile. Il y a un peu plus d’un an, le 16 mars 2015, l’association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC) organise à Rabat une grand-messe du camp progressiste, alors que le débat sur l’avortement fait fureur. Les invités, unanimement en faveur de la dépénalisation, sont chaudement applaudis. En fin de journée, un cadre du PJD prend la parole. La salle s’enflamme. Le débat, le vrai, commence enfin.
Tout à coup, l’annonce tombe : le roi charge les ministres Mustapha Ramid (Justice) et Ahmed Taoufiq (Affaires islamiques) ainsi que Driss El Yazami, président du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), de mener des consultations sur la question. La salle applaudit à tout rompre, les présents quittent la salle en petits groupes avant de se disperser. Une anecdote révélatrice.
Depuis, le débat s’est presque tu et la bataille d’idées n’a pas eu lieu. À peine quelques voix progressistes ont fait publiquement connaître leur position. Un quasi-silence dommageable pour Chafik Chraïbi, président de l’AMLAC. « Le roi n’a pas demandé à ce que le débat cesse. Mais pour les gens, surtout dans la classe politique, c’est ainsi : le roi a parlé, nous n’avons plus à agir ». Le médecin, las, a trouvé comme refuge son mur Facebook pour continuer à faire connaître son point de vue.
Peur du débat ?
Khadija Ryadi, ex-présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), association qui a déposé un mémorandum au CNDH il y a presque un an, se désole. « Ce n’est pas la première fois qu’un débat est ainsi écourté. C’est un vrai souci lorsqu’on remarque que, concernant la réforme de la Moudawana par exemple, une décennie plus tard, l’opinion publique considère toujours que la question est actée, qu’il n’y a pas à revenir dessus car la monarchie a tranchée ».
Pour la militante, « il subsiste une vraie peur du débat, de la libre parole et des risques que comportent tous changements, de quelque type qu’il soit. Du coup, la tendance générale est de chercher au plus vite une position médiane. Les conservateurs parient sur la partie conservatrice des institutions, tandis que les progressistes s’en remettent à une monarchie qu’ils estiment être moderne ». Les associations, certes, ont bien été entendues : l’AMLAC comme l’AMDH, à l’instar d’autres ont pu présenter leur copie. « C’est plutôt le travail pédagogique et l’exercice démocratique qui n’ont pas eu lieu » ajoute Ryadi.
Un deuxième round à ne pas rater
Pour l’ancienne présidente de l’AMDH, la fermeture du débat est d’autant plus regrettable, car elle se fait aux dépens des voix les plus progressistes. « Le discours conservateur a tendance à essaimer en tous lieux en tout temps. Les voix progressistes en revanche, ont besoin de ces moments de débats pour présenter leurs arguments, prouver qu’ils collent aux réalités nationales… ».
Aujourd’hui, Chraïbi tient à reprendre le combat. La question de l’avortement revient dans les médias à l’occasion. Le 9 juin, le projet de loi amendant le code pénal, qui comprend des dispositions relatives au droit à l’avortement a été adopté par le Conseil de gouvernement. La disposition permet notamment l’IVG lors de « grossesses (qui) résultent d’un viol ou de l’inceste », ou encore dans les cas de « graves malformations et maladies incurables que le fœtus pourrait contracter ».
La réforme passera donc bientôt devant les parlementaires. Le médecin, déçu par la mouture proposée et qu’il trouve trop timide, sonne le tocsin. « Il faut faire pression si on veut l’emporter. Beaucoup se disent déçus, mais c’est aussi qu’ils ne se sont pas montré mobilisés… » concède-t-il. Ryadi, elle, au-delà du texte que les législateurs adopteront, croit aux vertus didactiques de la bataille d’idées. Elle appelle aussi son camp à se ressaisir et à ne pas rater cette deuxième chance d’ouvrir le débat.
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