Dans la torpeur d’une nuit marrakchie, après plusieurs verres de champagne millésimé, une star de la télé française interroge le journaliste de TelQuel venu couvrir le festival Marrakech du rire : “Votre directeur est toujours en prison ?”, s’inquiète la vedette du petit écran. Le collègue a dû s’armer de patience pour lui expliquer que l’auteure de ces lignes n’était (encore) jamais passée par cette case-là. Allah yhfad. Des histoires pareilles, pas besoin de creuser, il y en a à la pelle.
Nos confrères de l’Hexagone nous gratifient parfois d’approximations et de clichés réducteurs. Nous sommes malgré nous les victimes de leur orientalisme, et plus encore de leur manichéisme. D’un côté, ce serait le miracle marocain, un pays en pleine modernisation s’appuyant sur une monarchie millénaire : un paradoxe des Mille et une nuits. De l’autre, le Maroc apparaît comme un pays où la torture est endémique, où sont bafoués systématiquement les droits de l’homme et la liberté de la presse, et qui est dirigé par un monarque avide de s’enrichir. Comme souvent, la vérité est plus complexe. Elle n’est ni dans le premier cliché, ni dans le second raccourci.
Dans ce contexte, le documentaire Roi du Maroc, le règne secret, réalisé par Jean-Louis Pérez, a été l’occasion pour l’écrasante majorité des plumes du royaume de dénoncer, pêle-mêle, la partialité du traitement réservé à la monarchie marocaine, le casting monolithique des interviewés, l’affligeante intervention de Catherine Graciet… et finalement la médiocrité (réelle) du contenu. Le peuple de Facebook y est allé aussi de ses “Touche pas à mon roi” et autres manifestations de patriotisme virtuel. Bref, un délire obsidional. Finalement, ce qui est intéressant à relever, c’est moins le contenu du documentaire que les réactions marocaines.
À entendre toutes ces belles leçons de journalisme et d’objectivité, on s’étonne : peut-on concilier pareille exigence vis-à-vis des journalistes français et accepter, en interne, de taire les sujets qui fâchent ? Au Maroc, nous importons des polémiques, faute d’avoir fait vivre le débat à domicile. Les voix dissonantes, c’est d’abord chez nous qu’elles devraient avoir le droit de s’exprimer, être entendues et aussi confrontées. La monarchie marocaine a des atouts et une légitimité absolue que même ses détracteurs lui reconnaissent. Mais elle n’est pas assez forte pour se passer de débats publics. Les Marocains et leurs dirigeants gagneraient à aborder la problématique de fond, que ce documentaire de France 3 n’épuise pas : le roi peut-il à la fois être un acteur économique important sans que cela ne crée de conflit d’intérêts ? La réponse n’est pas évidente. Mais elle mérite d’être débattue.