Salut à vous, infatigables bâtisseurs du Maroc Moderne, bienvenue par ici. Zakaria Boualem voudrait vous raconter une petite scène de la vie quotidienne, sans plus de formalités, nous avons dépassé ce stade depuis longtemps. L’affaire se déroule dans la bonne ville de Rabat, et l’héroïne est une dame élégante qui se déplace à pied dans l’espace public pour des raisons qui ne regardent qu’elle. Marchant en plein jour dans le centre-ville, elle se trouve abordée par un homme grossier, qui lui propose de se joindre à lui pour un moment que la morale réprouve. Elle accélère le pas sans répondre. Mais l’homme, mû par la puissance incontestable d’une production hormonale mal maîtrisée, lui emboîte le pas et poursuit ses avances. Il a vingt ans de plus qu’elle, dispose de peu d’atouts visibles, mais présente, en revanche, une belle confiance en soi et une persévérance qui, si elle avait été appliquée à un autre domaine que la chasse à la femelle en pleine rue, lui aurait sans doute valu un destin de champion. Il insiste, donc, et la dame continue sa route, sourde. Elle finit par se trouver devant un commissariat, le harceleur toujours collé à ses basques. Excédée, elle demande aux policiers d’intervenir pour la délivrer de ce fléau.
Point technique 1. Jusqu’à cette étape du récit, la masse de sous-développement portée par cette petite aventure est certes considérable, mais hélas classique, l’affaire va basculer dans les lignes qui suivent. Les policiers interpellent le malotru et découvrent qu’il s’agit d’un représentant de l’ordre public : un caïd. Certes un peu libidineux, et sans doute mal informé sur les avancées portées par la nouvelle Constitution, mais un caïd tout de même, ce qui n’est pas rien. Ils se retournent donc vers la plaignante et lui demandent ce qu’elle compte faire. Elle leur annonce son intention de porter plainte, et nous basculons. Ils lui expliquent qu’il a des enfants, qu’il est fonctionnaire, qu’elle va ruiner sa carrière, que la procédure est affreusement compliquée, qu’elle va beaucoup souffrir avec la paperasse, qu’il a compris la leçon, et que yallah na3lou chitane tous ensemble et merci. Au passage, la dame disposant d’un certain charisme, ils s’inquiètent de son statut, un poste ronflant ayant la possibilité de modifier en profondeur leur vision des choses.
Point technique 2. Il est étonnant de constater que des éléments qui semblent aggravants comme la fonction ou le statut familial, deviennent chez nous des arguments pour pardonner. Il est aussi déstabilisant de noter que, dans ce genre d’affaires, la pression se pose toujours sur les épaules de la victime. Elle est sommée de ne pas utiliser son droit, elle est celle qui veut briser un ménage et une carrière, le bonhomme est juste dans son rôle. La dame, finalement, ne pose pas plainte, mais se défoule tout de même sur Facebook, il ne faut pas trop lui en demander. Ce post très précis, outre le fait d’avoir offert un sujet à Zakaria Boualem, lui vaut l’attention des médias. Elle se trouve donc contactée par une journaliste qui veut en savoir plus. Mue par son sens de l’investigation, elle lui demande, tenez-vous bien, si elle n’a pas peur que cette histoire lui vaille les foudres de son époux et que son impudence se retourne contre elle. Vous avez bien lu, nous parlions d’une femme journaliste, et merci.
Point technique 3. La chaîne d’oppression de la femme inclut des femmes, c’est incontestable.
Conclusion : Il y a des dizaines de choses à dire sur la place de la femme dans l’espace public, sur la mission réelle de nos forces de l’ordre et leur sens des priorités, sur l’ambiance générale qui règne actuellement, à la fois moralisatrice et libidineuse, et sur plein d’autres thèmes encore. Mais faites-le tout seuls, Zakaria Boualem est épuisé.