«Roi du Maroc, le règne secret» : Le documentaire qui déchaîne les passions

France 3 diffusera le 26 mai le film de Jean-Louis Pérez, expulsé du Maroc en février dernier alors qu’il était en tournage. Intitulé, Roi du Maroc, le règne secret, le documentaire divise déjà.

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Crédits : DR Premières Lignes

Personne ne l’a vu, mais il fait déjà polémique. La chaîne France 3 diffusera le 26 mai un film de Jean-Louis Pérez intitulé Roi du Maroc, le règne secret. Cela fera plus d’un an que le film fait parler de lui au Maroc. Le 15 février 2015 alors qu’ils étaient en tournage dans lesiège de l’AMDH (Association marocaine des droits humains) à Rabat, Jean-Louis Pérez et son caméraman Pierre Chautard ont été arrêtés et expulsés du royaume. «Vers 18 h 30, 30 policiers ont cassé la porte à coups de burins pour venir nous chercher. Ils ont même violenté une femme qui faisait barrage de son corps pour les empêcher de rentrer», raconte le lendemain Jean-Louis Pérez au site Internet de L’Obs.

Après une fouille au corps et la confiscation de leur matériel de tournage, de leurs passeports et de leur voiture de location, les deux journalistes sont conduits sous bonne garde à l’aéroport d’où ils prendront un avion pour la France. Le Maroc et la France sont alors en pleine réconciliation après un an de brouille diplomatique, et l’affaire ne fait pas d’autres remous que l’annulation de 77e édition du prix Albert Londres qui devait se tenir en mai à Tanger. Luc Hermann, producteur à Premières Lignes — l’agence chargée de la production du film pour France 3 —, nous explique que « malgré la saisie des cartes mémoires tous les rushs avaient été bien protégés, rien n’a été perdu. C’est ce que l’on raconte au début du film ». Les images sont sauves, les journalistes vont pouvoir entamer le montage du film.

Un rebondissement

Or, le 28 août, les journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet, auteurs du Roi prédateur, sont mis en examen. Ils sont soupçonnés d’avoir fait chanter le royaume du Maroc, lors de rencontre avec l’avocat Hicham Naciri, en demandant 3 millions d’euros pour ne pas publier un autre livre contenant des informations compromettantes. Quel rapport avec le film ? Le 29 août, BFM TV publie un document daté de juillet 2015 et signé par les deux journalistes, dans lequel ils s’engagent « à ne plus rien écrire sur le Royaume du Maroc ». En échange du silence des deux journalistes, le Maroc doit, selon ce « contrat » leur verser «la somme de deux millions d’euros». Un post-scriptum rédigé en bas du document exclut de cet engagement un documentaire commandé par la chaine France 3 auquel collabore Catherine Graciet. Un film qui ne contient « aucune révélation » précise la lettre contractuelle. Il s’agit bien de la même enquête pour laquelle Jean-Louis Pérez et Pierre Chautard ont été expulsés quelques mois plus tôt. Paul Moreira, fondateur de Premières Lignes, nous confiait le 1er septembre que Catherine Graciet «a été consultante pour ce film. Elle n’a pas participé à l’écriture, mais nous a ouvert son carnet d’adresses et a été rémunérée à ce titre». Et d’ajouter : «Il se peut que l’on intègre ces rebondissements dans le documentaire» dont la date de diffusion n’était pas encore connue.

Les réformes audacieuses de Mohammed VI

Dans le film diffusé le 26 mai, l’affaire du « chantage royal » sera bien évoquée puisqu’on y verra pour la première fois Catherine Graciet s’en expliquer devant une caméra de télévision. « C’est assez court, mais nous ne sommes absolument pas complaisants avec elle. Aucune question ne lui est épargnée, vous verrez », explique Luc Hermann. De complaisance ou de charge contre les autorités marocaines, le producteur ne veut d’ailleurs pas en entendre parler. « Jusqu’à très récemment, nous avons encore proposé aux autorités marocaines de s’exprimer dans le film », assure-t-il pour défendre qu’il s’agit d’un film « équilibré ». « En producteurs responsables, nous n’avons jamais produit d’enquêtes à charge ». Luc Hermann confirme en outre que, comme précisé dans le synopsis du film sur le site de Premières Lignes, le documentaire évoque les « nombreuses réformes audacieuses » de Mohammed VI. « Sous son impulsion, le Maroc est devenu l’un des pays les plus avant-gardistes du monde arabe, notamment pour les droits des femmes. Personne ne peut nier sa gestion avisée de l’islamisme, ainsi que les effets positifs de sa politique de grands travaux sur l’économie marocaine » détaille le résumé. « Ce n’est pas une démarche d’investigation, ce n’est pas du tout le même exercice que Cash Investigation que nous produisons également par exemple », déclare encore le producteur qui demande à être jugé sur pièce.

« Je suis M6 », pas France 3

Pourtant, au Maroc, des voies s’élèvent pour protester contre ce film. Après l’annonce de sa diffusion sur France 3, des pages Facebook ont été créées en soutien à Mohammed VI. L’acteur marocain Hafid Stitou s’affiche avec un t-shirt blanc flanqué d’un « Je suis M6, nous sommes tous M6 », récoltant 341 « likes » sur le réseau social. Sur la toile, on s’insurge et on vilipende « une certaine France [qui] cherche à toujours exporter sa vision et entretenir son mythe en donnant des leçons de morale à la terre entière. » Même des personnalités qui ont accordé leur témoignage à Jean-Louis Pérez prennent leur distance par rapport au film. C’est le cas du secrétaire général de Transparency Maroc Fouad Abdelmoumni, de l’homme d’affaires Karim Tazi et de l’universitaire Najib Akesbi. Tous connus pourtant pour leurs positions critiques.  Le 10 mai, ils signent un communiqué commun dans lequel « [ils] tiennent à affirmer que, si nous ne renions en rien les analyses que nous avons exprimées à cette occasion, la diffusion aujourd’hui de notre intervention dans ce documentaire ne peut en aucune manière être interprétée comme une quelconque caution à l’angle éditorial de ce documentaire ni à une personne dont la probité s’est malheureusement révélée pour le moins douteuse ». Précédemment, le journaliste Ali Amar, « interviewé en février 2015 à Casablanca par Jean-Louis Pérez dans le cadre de ce documentaire a demandé le retrait de son témoignage » comme il l’avait écrit dans un article du Desk.ma publié le 4 mai. L’annonce de ce retrait a donné naissance à un véhément échange par statuts Facebook interposés entre Ali Amar et son « ancien ami » le journaliste Ali Lmrabet, lui aussi interviewé, qui maintient quant à lui son témoignage. La joute verbale s’écarte rapidement du documentaire pour en venir à des allégations sur le passé et les pratiques journalistiques de chacun, mais témoigne de l’enjeu que suscite ce film que seuls ses auteurs ont vu.

Plainte pour vol

Chacun pourra se faire une opinion fondée en regardant le 26 mai à 23 h 25 (heure française) l’émission Docs Interdits sur France 3. Mais le téléspectateur marocain risque d’être déçu s’il s’attend à un scoop. «Ce film n’a pas la prétention d’apporter des révélations, mais le public français va apprendre beaucoup de choses, car c’est un documentaire historique et économique», confie Luc Hermann. Tout au plus le téléspectateur marocain risque-t-il d’être agacé par le langage de journalistes français évoquant le Maroc à un public français. Ce langage ignore irrémédiablement des subtilités de la réalité marocaine. En témoigne cette remarque de Paul Moreira au moment de nous expliquer que Premières Lignes a porté plainte pour vol contre le Maroc. Si la voiture de location et le matériel de tournage confisqués par la police ont été rendus aux loueurs respectifs, la boite de production n’a pas récupéré les 15 000 euros de matériels saisis lui appartenant. « Mais ça, je ne sais pas si vous aurez le courage de le mettre dans votre article », ajoute Paul Moreira.

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