Pendant longtemps, une partie de la population marocaine, curieuse et cultivée, trouvait dans le débat politique français un ersatz et une alternative à la morosité et la médiocrité de la vie politique nationale. Elle y trouvait ce qui manquait terriblement aux joutes oratoires qui opposaient nos élus : du sens, de l’éloquence et de la passion. Chez cette frange de Marocains, les émissions politiques sur les chaînes françaises étaient suivies religieusement, les éditorialistes parisiens étaient lus avec intérêt et on préférait avoir tort avec Libération plutôt que d’avoir raison avec le Figaro.
Las de la platitude des scrutins au royaume et de leurs faibles enjeux, on se rabattait sur les grand-messes électorales de la république. Il n’était pas rare de voir deux cadres, à Casablanca ou à Rabat, commenter avec flamme un débat de la veille opposant deux candidats à des élections qui se déroulent pourtant dans un autre pays. Certains peuvent dire qu’il s’agit d’un pur “esprit de colonisé”, mais les choses sont plus simples que ça : le débat public français offrait des moments d’intelligence et de théâtralité politique absents sous nos cieux. Mais ça, c’était avant.
Aujourd’hui, cette partie de nos concitoyens, pourtant francophones et francophiles, regarde avec consternation et dépit la qualité du débat dans l’Hexagone. Elle s’en détourne de plus en plus. Les obsessions qui hantent et peuplent constamment les discussions publiques en France agacent et rebutent. Avec ses énièmes controverses sur le voile, l’alimentation halal ou la longueur de la barbe de Tariq Ramadan, le débat politique français a sombré dans un abîme de médiocrité. Pourtant sensibles aux valeurs de laïcité, d’égalité entre les femmes et les hommes et de liberté, ces Marocains perçoivent ces controverses comme des formes d’injustice et d’agression. L’islamophobie, exprimée avec des formules savantes ou des mots simples, est perçue de ce côté-ci de la Méditerranée comme une trahison aux idéaux humanistes dont la France était souvent parée. Il ne s’agit pas de faire abstraction des rapports complexes et paradoxaux entretenus en France à l’égard de l’islam à travers l’histoire, mais jamais une telle ignorance et un tel aveuglement n’ont été si affichés et revendiqués.
La déception est à l’avenant des attentes. On regarde alors avec consternation comment des analphabètes deviennent des représentants médiatiques d’une communauté qui compte pourtant des milliers d’universitaires et de hauts diplômés, on se frotte les yeux quand des hommes politiques, pourtant de gauche, exhument le débat sur le voile, et on éteint la télé quand on voit des intellectuels français débattre du sens d’un verset ou l’origine d’une sourate, sans connaître un traître mot de la langue arabe. Comme si l’auteur de ces lignes décidait, un beau matin, de devenir commentateur de la Torah ou glossateur de la Bible. Sinistre débat pour un si beau pays !