Je crois que la guerre en Syrie ne se terminera jamais. Voilà trois ans que je photographie le conflit à Alep, ma ville. Mon but, c’est de montrer au monde extérieur toutes les souffrances qu’endurent les Syriens. Et ce jeudi 28 avril est une des journées les plus infernales que nous ayons connues ici.
J’ai pris cette série d’images dans le quartier résidentiel d’Al-Kalasa, contrôlé par la rébellion et assiégé par les forces du régime de Bachar al-Assad. Je me trouve avec une unité de la défense civile quand le raid aérien se produit. Les bombes s’abattent à un peu plus d’une centaine de mètres de là où je me trouve. Je me précipite pour prendre des photos.
Quand un raid aérien frappe un quartier, ce sont d’abord les voisins qui apportent les premiers secours aux blessés. Les sauveteurs de la défense civile, qui ont souvent été formés en Turquie, prennent le relais quand ils arrivent. C’est comme ça que les choses se passent ce jeudi. Au moment où nous arrivons, une femme est en train de crier à l’aide depuis les hauteurs d’un immeuble endommagé par les explosions. Elle, son mari et son enfant sont coincés dans ce qui reste de leur appartement au deuxième étage, ils ne peuvent plus descendre.
Immédiatement, le sauvetage s’organise. Les hommes de la défense civile déploient une échelle, forment une chaîne humaine pour faire descendre le petit garçon. L’appartement a été complètement démoli mais le couple et son enfant sont indemnes. Je les photographie une dernière fois alors qu’ils quittent les lieux à pied. J’ignore qui ils sont. J’ignore ce qu’ils sont devenus depuis.
Ce jeudi, c’est vraiment une journée horrible à Alep, la plus effrayante depuis le début de la campagne de bombardements. Au total, une cinquantaine de frappes s’abattent sur les quartiers tenus par la rébellion. Plus de deux cent cinquante personnes sont mortes depuis le début de l’offensive du régime le 22 avril.
Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de vie ici. Plus de cafés, plus de restaurants, plus aucune trace de la vie culturelle qui faisait la réputation de la ville avant la guerre. Maintenant, Alep est la ville la plus dangereuse du monde. Une ville morte.
Travailler comme photographe ici n’est pas simple. On a l’impression de déranger tout le monde. L’an dernier, dans le quartier d’Al-Fardous, un de mes collègues s’est fait fracasser son appareil par des habitants furieux, qui lui reprochaient de photographier des femmes. Mais je continue, parce que je veux montrer au monde ce qui se passe ici.
Comme tout le monde ici, j’ai été affecté personnellement par les combats. J’ai été blessé de deux balles au début de la deuxième année de la guerre, en avril 2012. Mon père et mon cousin, qui travaillent tous les deux comme volontaires pour la défense civile, ont également été blessés. Beaucoup de mes amis sont partis en Turquie, puis en Allemagne. Moi aussi, l’année dernière, j’ai envisagé de partir, d’émigrer comme tant d’autres Syriens. Mais finalement cela ne s’est pas fait, et j’ai continué à travailler ici.
Le témoignage du photojournaliste Ameer Alhalbi a été écrit avec Samar Hazboun (AFP à Nicosie) et Roland de Courson (AFP à Paris). Il a été initialement publié sur le blog de l’AFP et repris par Telquel.ma avec l’autorisation de l’agence France Presse.