Quel était l’objet du débat de la semaine, celui qui a suscité des milliers de commentaires, mobilisé l’opinion publique et ému, alerté ou scandalisé nos chers concitoyens ? Non, ce n’est pas l’affaire des Panama papers, où des noms d’hommes d’affaires marocains, dont le secrétaire particulier du roi, sont cités pour avoir eu recours à des sociétés offshore. Il ne s’agit pas non plus du dénouement du feuilleton des “enseignants stagiaires” après des mois de tension avec le gouvernement, et il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit la poursuite des négociations entre syndicats et pouvoirs publics autour de la refonte des systèmes de retraite qui touchent des millions de travailleurs marocains… Ce qui a intéressé et passionné la vox populi nationale n’est pas une, mais deux polémiques d’une autre nature : la première concerne un agent d’autorité, un caïd, qui aurait abusé de son pouvoir pour s’attirer les faveurs d’une femme mariée, et la deuxième est celle d’une actrice populaire, hospitalisée après une altercation avec une jeune fille dans une administration. Des polémiques qui, sans juger ou mépriser leur nature et leur qualité, sont symptomatiques de notre temps et de l’évolution de notre société.
Ces deux “affaires” intéressent, car elles sont simples, avec des enjeux rapidement identifiables, et parlent à des passions primaires, mais profondes. Elles opposent d’un côté une figure d’autorité (le caïd) ou de notoriété (l’actrice) et de l’autre des anonymes propulsés, le temps d’une vidéo ou d’une image, au rang de figures publiques, qui seront rapidement oubliées au fil des polémiques et des buzz. Les passions de la vengeance, de la sympathie pour le faible, mais aussi du voyeurisme sont fortement présentes et sollicitées. Tout le monde peut avoir un avis ou une position sur ces questions. Elles sont à l’opposé des affaires de Panama papers ou la réforme des retraites, trop complexes et techniques. Ces affaires sont certainement délicates et cruciales, mais indéchiffrables pour le commun des Marocains.
Dans une démocratie, on demande aux citoyens de s’intéresser aux affaires publiques, d’être vigilants et de manifester son avis ou son indignation, mais là on touche aux limites de cet intérêt. On est au cœur de la faiblesse de la démocratie en tant que pouvoir des masses : l’incapacité à saisir et comprendre les enjeux quand ils sont complexes et tortueux. Tous ceux qui ont pointé du doigt cette faiblesse, de Platon à Montesquieu, en passant par Averroès et sa méfiance envers les masses, insistent sur l’incapacité des hommes à saisir la complexité du réel et à se gouverner.
Chacun peut avoir une opinion sur un agent d’autorité humilié devant un mari bafoué ou sur une actrice agressée pour ne pas avoir respecté une file d’attente, mais combien sont capables de comprendre et commenter une transaction bancaire dans une zone offshore ou les labyrinthes du système de retraites ? La qualité de l’éducation nationale, la maturité d’une démocratie et l’évolution des mentalités et des consciences sont les réponses à cette question. Elles permettront de retrouver des débats publics qui s’intéressent à l’essentiel et au décisif.