Ta vie en l'air. Regarder par la vitre

Par Fatym Layachi

En ce moment, pour ton boulot, tu voyages beaucoup, tu es souvent en déplacement et du coup tu rencontres constamment de nouvelles personnes.

Toi, tu aimes bien faire de nouvelles rencontres ; ça te donne presque l’impression d’élargir ton horizon. Et pour le petit poisson rouge dans son aquarium doré que tu es, ça te change tellement. Dans ton quotidien, tu n’as pas de ligne d’horizon, pas de perspective surprenante, pas d’avenir non plus. Alors, ce changement, tu le trouves rafraîchissant, comme une bouffée d’oxygène. Tu as tellement pris l’habitude de ne croiser que des gens que tu connais, avec qui tu es liée d’une manière ou d’une autre, avec qui tu partages sans doute trop de choses : un mode de vie, des ragots et des lieux de vacances. Et en ce moment tu n’arrêtes pas de rencontrer des gens qui vivent autrement. Qui vivent normalement.

Ce n’est pas que tu aies une vie exceptionnelle – loin de là – mais pour sûr tu n’as pas une vie normale. Tu as une vie qui brille. Tu dépenses beaucoup. Ce n’est pas que tu sois particulièrement riche mais il faut bien dépenser. Tu es née héritière. Héritière de pas grand-chose mais de suffisamment pour être otage d’un savoir-vivre, d’un code de conduite et donc des robes qui vont avec… Tu vis entourée de gens qui ont des goûts de luxe mais qui ont oublié d’apprendre ce qu’est le luxe. Tout a l’air fastueux mais ne l’est pas forcément. Ici, on se contente de peu. Les apparences suffisent. La poudre aux yeux éblouit et les bulles font tourner les têtes, et ça suffit. Pourquoi voir plus loin ? Comme ton entourage, tu as tendance à préférer ce qui est reluisant à ce qui est sincère. C’est plus évident le reluisant, plus simple, plus pratique aussi. Tu n’es pas forcément convaincue que c’est ce qu’il y a de mieux mais tu n’as absolument pas envie de remettre en question ce carcan dans lequel tu te complais. Tu veux bien être lucide mais de là à faire quelque chose pour changer… Sûrement pas ! Tu es bien trop confortablement emmurée pour ça. De toute façon, tu ne prendras jamais le risque de t’opposer à quoi que ce soit. Tu vis dans un monde où l’on ne s’oppose pas. Dans un monde où l’opposition, par principe, c’est louche, c’est suspect. Ici, on ne donne aucun crédit à la remise en question.
On est bien trop convaincu d’être au top, d’avoir raison, de faire tout mieux que tout le monde. Ta mère, par exemple, est convaincue qu’aucune plage au monde n’est plus belle que celle où elle passe tous ses étés depuis 45 ans. Ton père est convaincu que rien au monde n’est meilleur que les pieds de veau de sa mère. Ta tante est convaincue qu’elle est la meilleure des maîtresses de maison. Ton cousin est convaincu qu’il a absolument tout compris de l’islam. Zee est convaincue que cette robe rouge qui ne peut aller qu’à Elle Macpherson lui va divinement bien. C’est peut-être en effet très bien, très beau, très bon. Peut-être même que c’est effectivement ce qui se fait de mieux. Mais le souci c’est que eux – comme toi bien souvent – ne prennent jamais le temps de regarder ailleurs, de sortir de leur zone de confort. La certitude d’être mieux, d’être le plus beau pays du monde, ce n’est même pas du chauvinisme, c’est du confort. Et à force de vivre confortablement, en restant entre soi sans se mélanger, un sentiment d’impunité et un bon complexe de supériorité se développent. Du coup, tu as un peu peur de finir étouffée dans tes certitudes. Alors tu respires un peu en regardant la vie des autres.