Zakaria Boualem et la chasse aux sorcières

Par Réda Allali

Salut à vous les amis. Zakaria Boualem, comme chaque semaine, est là pour vous rapporter aussi fidèlement que possible les avancées de la construction de notre Maroc Moderne, démocratique, andalou, parlementaire, africain, etc. Une bonne nouvelle pour commencer, puisque, encore une fois, le modèle marocain a fait montre de sa supériorité cette semaine. Vous le savez sans doute, d’étranges listings ont fait leur apparition, faisant état de personnalités qui ont mené des opérations financières via des paradis fiscaux. La planète est secouée, c’est une sorte de séisme politique mondial. Chez nous, le calme règne, al hamdoulillah. Tout va bien : rien ne peut nous faire dévier de la construction sereine et déterminée du Maroc Moderne, berbère, social, arabe, etc. Oublions ces peccadilles et continuons ce petit point d’avancement dans la joie et la souplesse.

Nos fins limiers de la police nationale sont en grande forme. Petite parenthèse rapide pour signaler que le vocable “fins limiers de la police nationale” n’est pas une invention du Boualem. Il s’agit d’une expression qu’affectionnait particulièrement le respectable quotidien l’Opinion, qui a longtemps constitué une lecture obligatoire de notre héros. Il est d’ailleurs bien possible qu’ils continuent de l’utiliser en fait, je vous laisse vérifier cela. Voilà pour l’hommage. Revenons au sujet, notre glorieuse police. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous annonce le démantèlement d’une ou deux cellules terroristes, c’est spectaculaire. Ce flux continu d’informations alarmantes, censé nous rassurer, a provoqué tout le contraire chez notre héros. Il a commencé par traverser une phase d’angoisse, avant de développer une solide capacité à l’indifférence. L’objectif est atteint, puisque ces terroristes ne le terrorisent plus tellement. Plus précisément, ils le terrorisent autant que les grands taxis sans freins, les immeubles qui s’effondrent ou les routes qui se dissolvent sous la pluie. Ce n’est pas tout. Nos policiers convoquent également régulièrement la presse pour exhiber quelques malfrats, photographiés devant des sabres, des portables et quelques babioles, accusés d’appartenir au mouvement des mcharmline.

Zakaria Boualem voudrait encore une fois féliciter nos forces de l’ordre. Il est des contrées où un accusé doit être jugé et défendu, il paraît même que ce genre d’individu a le droit de protéger son image, surtout s’il est mineur. Autant de procédures interminables qui compliquent beaucoup la tâche du maintien de l’ordre.

Chez nous, encore une fois al hamdoulillah, nous ne sommes pas entravés par ce genre de simagrées, c’est un vrai bonheur. Il faut aller vite, nous sommes en phase de construction les amis. C’est probablement dans la même volonté de ne pas perdre de temps que de braves habitants de Salé ont saccagé le domicile d’une dame accusée de pratiquer la sorcellerie. Oui, on aura du mal à trouver une illustration plus évidente à l’expression “chasse aux sorcières”. Ils n’ont pas réussi à mettre la main sur elle, c’est heureux. En moins d’un an, donc, nous avons eu le lynchage de demoiselles en jupe, l’attaque d’une actrice, quelques tabassages d’homosexuels, et maintenant une sorcière. C’est un sinistre festival.

Notez bien que ces initiatives catastrophiques ne génèrent pas vraiment d’indignation, la majorité les considère légitimes, et la justice entérine en général ce sentiment collectif. Nous sommes donc devant une sorte de démocratie directe, immédiate et spectaculaire, que le reste du monde va sans doute nous envier rapidement. Quelle peut donc être la suite de ce développement remarquable de notre organisation sociale ? Pour être très honnête, Zakaria Boualem n’a même pas le courage de l’imaginer, il est trop occupé à chercher une terre d’accueil, il est bien possible que ça devienne de plus en plus compliqué par ici.