Mais qu’est-ce qui se passe entre Abdelilah Benkirane et Mohamed Boussaid ? Depuis le 3 avril, les relations n’ont cessé de se tendre entre le Chef du gouvernement et son ministre, risquant ainsi à nouveau de mettre à mal la majorité gouvernementale. Que cache cette nouvelle crise ?
Tout a commencé avec une réponse du ministre des Finances à une question écrite des groupes parlementaires de l’USFP et du PAM de la deuxième chambre. La question a été envoyée le 28 mars pour demander à l’argentier du royaume la possibilité «légale et technique» de faire passer un seul concours aux enseignants-stagiaires pour ensuite les embaucher en deux temps (un premier groupe en 2016 et un autre en 2017). La réponse est tombée deux jours plus tard et explique que cette possibilité ne «nécessiterait [qu’]un décret ou un arrêté ministériel» qui en fixerait les modalités.
La recadrage de Benkirane
Bien qu’elle n’ait aucun caractère décisionnel, cette réponse a déclenché l’ire du chef du gouvernement qui a répliqué dans un communiqué ferme le 3 avril. «Il n’appartient à aucun ministre de travailler hors du cadre fixé par le gouvernement» qui a «tranché officiellement et définitivement ce dossier», peut-on lire dans le communiqué. Le gouvernement avait proposé, par la voie du wali de la région de Rabat, une solution qui consiste à recruter les deux promotions après un concours pour chacune d’entre elles. Benkirane a tenu également à exprimer «son profond étonnement quant au contenu de cette correspondance» en affirmant que c’est une «initiative individuelle qui n’a pas été l’objet d’une concertation avec le chef du gouvernement et demeure non conforme à la solution proposée par le gouvernement». Le communiqué explique qu’«il n’y a pas lieu de sortir un décret ou une décision sur les modalités du concours […] puisque les deux décrets relatifs à cette catégorie les encadrent clairement».
Quelques jours avant, lors du conseil de gouvernement du 31 mars, Abdelilah Benkirane avait déjà affiché sa virulence sur ce dossier, avant même d’être au courant de cette affaire de correspondance. «Le gouvernement est celui-là, et on en connaît pas d’autre qui accepterait des choses que nous ignorons, ou qui les refuserait, ou encore qui prendrait des décisions à notre place ou qui passerait des accords à notre insu». Il a qualifié ces propos de «vils», et leurs auteurs d’«amoraux», «méprisables» et «menteurs».
Mais cette scission entre Benkirane et Boussaid trouve son origine dans des faits antécédents. Ilyass El Omari, secrétaire général du PAM, avait pris contact avec plusieurs partis, dont l’USFP le RNI et le MP. A l’issue d’une réunion avec les enseignants-stagiaires, il avait expliqué qu’il avait la solution au problème des enseignants stagiaires. Pour le politologue Mustapha Sehimi, Abdelilah Benkirane réagit de cette façon parce que «c’est une mise à l’index d’un chef de gouvernement qui dit faire du social mais qui, en fait, laisse pourrir un dossier». «Cette opération a été menée par le PAM qui se retrouve en plus avec l’USFP, mais avec deux partis de la majorité. C’est-à-dire qu’Ilyass El Omari apparaît comme un fédérateur possible sur une question sociale», analyse Sehimi.
«C’est un dépassement qui nuit à la solidarité gouvernementale», affirme Nabil Chikhi, président du groupe parlementaire du PJD à la deuxième chambre. Et d’ajouter sobrement que «le Chef du gouvernement a pris sa décision, les membres du gouvernement doivent s’y tenir».
«Une tempête dans un verre d’eau»
Le RNI ne s’est pas encore exprimé publiquement sur cette polémique. Plusieurs ministres et leaders du RNI que nous avons contactés étaient injoignables. Seuls Anis Birou, ministre chargé des marocains résidents à l’étranger et Ouadie Benabdellah, président du groupe parlementaire du RNI à la première chambre nous ont répondu, tout en se refusant à tout commentaire. En revanche, dans un post sur sa page Facebook, le RNI ne se retient pas. Il avait souligné que la réponse du ministre des Finances est «technique et pas politique » et «ne contredit pas la position du gouvernement». Le post a qualifié la réponse de Benkirane de «tempête dans un verre d’eau qui cache un conflit politique avec une intention électoraliste». La même source souligne que «la colère du chef de gouvernement n’a pas de fondement, puisque l’article 9 de la loi organique relative aux membres du gouvernement attribue aux ministres des prérogatives pour exercer leurs attributions, qui leur sont déléguées par le chef du gouvernement par décret, sans revenir vers lui pour tout ce qui concerne ces attributions». Le post va même jusqu’à accuser le Chef du gouvernement de tentative d’hégémonie, «il [Benkirane, ndlr] n’a qu’à ne pas déléguer aux ministres et gérer lui même tous les secteurs».
Le courant ne passe plus
Ce nouvel épisode cache une divergence qui a émergé suite au «climat créé à partir du 4 septembre», ajoute Sehimi. Car cette tension entre le chef du gouvernement n’est pas la première . On se rappelle du dernier conseil du RNI en février, Salaheddine Mezouar a pris tout le monde de court en se lançant dans une diatribe contre le PJD qu’il a accusé, sans le nommer, d’avoir des «velléités d’hégémonie et de contrôle[r] l’indépendance de nos décision de parti». Il l’avait également critiqué dans la gestion des dossiers sociaux notamment celui des étudiants-médecins et des enseignants-stagiaires, faisant fi de la logique de solidarité gouvernementale.
On se rappelle également comment la qualité d’ordonnateur dans le programme de lutte contre les disparités du monde rural avait été enlevée au chef du gouvernement dans la loi de Finances de 2016 au profit du ministre de l’agriculture Aziz Akhannouch , un ancien du RNI aujourd’hui indépendant. Cet épisode avait provoqué une friction entre le PJD et le RNI, avant qu’Abdelilah Benkirane décide de calmer le jeu.
En agissant comme cela, le RNI chercherait à trouver un nouvel espace politique ? «Du moment qu’il est à l’étroit et qu’il ne peut pas bénéficier du crédit des réformes que ses ministres mettent en œuvre, il est en train de réduire les fruits électoraux et politiques que va en tirer Benkirane lors de la prochaine campagne en le tirant vers le bas», nous avait déclaré Mustapha Sehimi suite au conseil national du parti de la colombe où Mezouar avait réservé une critique acerbe contre le PJD.
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