Le naufrage de la Samir laisse sans voix. Même le plus prudent des analystes conviendra qu’il s’agit d’un scandale d’État. Comment la dette abyssale du raffineur de Mohammedia, estimée aujourd’hui à près de 45 milliards de dirhams (45 avec 9 zéros…), a-t-elle pu “surprendre” tout ce monde ? La descente aux enfers de l’un des fleurons de l’industrie marocaine, coté en Bourse de surcroît, n’a pas été arrêtée à temps. Voilà qui trahit les faiblesses d’un système économique dépourvu de garde-fous.
Bien sûr, plusieurs mécanismes d’alerte n’ont pas été déclenchés à temps. Certains relèvent de microdécisions, celles des banques et de la douane, par exemple, qui a accordé des facilités. Mais d’autres décisions, plus lourdes de conséquences, étaient attendues d’institutions publiques de supervision et de contrôle, comme Bank Al-Maghrib et le gendarme de la Bourse.
Il ne s’agit pas ici d’exonérer de leurs responsabilités, morales et potentiellement pénales, Cheikh Mohamed Al Amoudi — qui a acquis le raffineur national en 1997 — ou Jamal Baamer, son directeur général. Actionnaire majoritaire, Al Amoudi n’a jamais tenu ses promesses d’investissement et de recapitalisation. Et sous la direction de Baamer, le manque de sincérité des comptes de la Samir ne fait plus de doute. Plus grave est pour l’opinion publique l’attitude cavalière du milliardaire saoudien, lequel s’est comporté en dirigeant voyou, riant à la barbe du gouvernement Benkirane. Ce dernier a eu raison de ne pas céder à ses multiples tentatives de chantage.
Mais à l’heure où l’unique raffineur est entré en liquidation judiciaire, pointer les responsabilités individuelles, politiques ou institutionnelles de ce naufrage ne suffira pas. Il est affligeant de voir que le sort de la Samir est aujourd’hui suspendu à une décision de justice. Dans la bataille d’intérêts contradictoires qui fait rage autour du dossier, certains semblent se délecter de la fin programmée du raffineur, à commencer par les importateurs d’hydrocarbures. Quant à ceux qui défendent le sauvetage de l’outil de production, ils attendent qu’un repreneur se déclare. Le millier de salariés du groupe l’espèrent eux aussi.
Or, c’est à l’Etat, garant de l’intérêt public, d’arbitrer et de décider de l’avenir de la Samir. Seuls les pouvoirs publics doivent dire si le Maroc peut se permettre d’importer 100 % de ses besoins en hydrocarbures (raffinés). Qui mieux que l’Etat est légitime pour savoir si oui ou non le royaume peut passer par pertes et profits 10 % de la valeur ajoutée industrielle nationale ? Ni le gouvernement, ni aucun autre pouvoir, ne s’est prononcé en faveur des intérêts du contribuable, des actionnaires, des épargnants… Quelqu’un sait-il seulement si une stratégie existe pour le jour d’après ? Le silence est à peine perturbé par des rumeurs. On murmure que la Samir trouverait repreneur, peut-être au dirham symbolique. C’est dire l’opacité entretenue autour de ce sujet. La situation actuelle est porteuse d’un risque supplémentaire. Celui qu’un tel manque de transparence fasse planer des doutes – peut-être injustes — sur l’acquéreur. Si la reprise de la Samir par un acteur national est la meilleure option, elle doit être défendue ouvertement. Arguments contre arguments. Comme nous le ferions en démocratie.