Zakaria Boualem et les hooligans

Par Réda Allali

Salut à vous, ô infatigables bâtisseurs du Maroc Moderne. C’est un Zakaria Boualem morose qui vous accueille cette semaine. Vous le savez, le week-end dernier, un match de football a de nouveau dégénéré, on parle de deux morts, peut-être plus. C’est affreux, mais tristement classique chez nous. Depuis le temps qu’on se fréquente, on a eu droit à des supporters qui dévastent des trains, d’autres qui mettent à sac de braves douars, des destructions de centre-ville, des dégradations de véhicules divers ou de tous types de mobilier urbain, des embuscades en pleine forêt, des vendettas, et plein d’autres choses qu’on a un peu honte d’écrire ici. Rares sont les Marocains qui n’ont pas eu droit au triste spectacle de hordes semant le chaos et la désolation autour d’eux au sortir d’un match. Eh bien, c’est de pire en pire, puisque cette semaine, ce sont deux factions rivales de supporters du même club, le Raja cher au Guercifi, qui se sont entretués. Pour avoir longtemps fréquenté les stades, Zakaria Boualem va encore une fois vous parler de hooliganisme. Ce n’est pas lui qui se répète, c’est le Maroc qui bégaie. Vous pouvez passer à autre chose si vous êtes un habitué de cette page, et merci.

Notre société est malade. Ne vous y trompez pas, ce qui se passe autour de notre football n’est qu’un symptôme. Inutile de s’attarder sur les causes, vous les connaissez tous, rappelons juste les faits. Nous avons créé une masse de jeunes sans éducation, sans culture, sans morale et sans espoir. Ils n’ont jamais été mobilisés pour un projet collectif sincère à part celui de défendre une équipe. Ils sont les vrais nihilistes, puisqu’ils ne demandent rien et n’ont rien à perdre. La mauvaise nouvelle, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux.

Notre société est violente. Ces jeunes, avant de la pratiquer, subissent cette violence au quotidien. On parle ici de violence économique, sociale, politique, et de frustration sous toutes ses formes, matérielle ou sexuelle. Il est ici question d’une masse de gamins qu’on n’a jamais traités avec le moindre respect, qui n’ont jamais été considérés comme citoyens, qui explosent dès que l’occasion se présente. Notre société est fanatique. Accepter l’autre est tout sauf un usage courant chez nous. Il faudrait convoquer des sociologues pour qu’ils nous expliquent pourquoi de nombreux Marocains semblent s’être fixé comme objectif d’agresser tous ceux qui ne leur ressemblent pas. C’est quelque chose de nouveau, ce réflexe. On agresse ceux qui pensent différemment, qui vivent différemment, qui supportent un autre club ou qui aiment un autre film. Il s’agissait au début d’agressions verbales, sur les réseaux sociaux, puis on est passé à la vitesse supérieure. C’est une autre mauvaise nouvelle : oui, nous produisons du terrorisme.

Notre société manque d’idées. Il y a ceux qui réclament le retour d’une zerouata qui – outre qu’elle n’est jamais partie – est en grande partie responsable de la production de cette génération. D’autres qui veulent déplacer le stade hors de leur vue pour ne plus avoir à côtoyer ces “animaux” et certains qui pensent régler le problème en augmentant le prix des tickets d’entrée au stade. Plus d’exclusion, donc, pour lutter conter l’exclusion. La vérité, c’est que nous manquons de solutions, Zakaria Boualem comme les autres, à part les éternelles incantations, vaines, pour une meilleure éducation.

Notre société manque de moyens. Nous avons une police qui est conçue pour protéger le système plus le peuple, des stades qui sont une insulte au consommateur, et des clubs faibles, menés par des dirigeants à la vue très courte. Il est d’ailleurs étrange de leur demander de régler un problème que le Maroc entier ne sait pas contenir. Oui, il semble que ce problème soit trop gros pour nous, c’est un peu vexant.

Voilà ce que pense Zakaria Boualem. Il a écrit cette page avec une grande tristesse, et il cherche à présent une bonne nouvelle pour terminer sur une note positive. Au moment de conclure ce papier, il la trouve finalement puisqu’il se met à pleuvoir, c’est bien. À bientôt donc, et merci.