“… dont 4 blancs”. Le titre du site 20minutes.fr, quotidien gratuit le plus lu en France, à propos de l’attentat en Côte d’Ivoire, a été retiré suite au scandale. Dommage, parce qu’il en dit long sur ce qui se passe en ce moment, et pas qu’en France. Après une chronique sur les yeux verts, un autre sur les peaux blanches confinerait-il à l’obsession ? Mais l’histoire court plus vite, décidément. En quelques jours, les incidents raciaux de la campagne de Donald Trump, la victoire partielle de l’extrême droite en Allemagne, et aujourd’hui ce titre à propos de l’attentat ivoirien convergent pour dire que quelque chose se cristallise dans la guerre mondiale en cours.
Le 11 juin 1882, une banale altercation entre un Maltais et un Égyptien, à Alexandrie, débouchait sur une émeute. Un mois plus tard, le 11 juillet, les Britanniques débarquaient : invasion militaire, traité de protectorat, mise en place d’un régime colonial…
Le 30 juillet 1907, huit ouvriers européens, dont trois français, étaient tués à Casablanca. Le mois suivant, les Français débarquaient : bombardements, installation de troupes permanentes, enclenchement de la conquête coloniale…
Les mécanismes de la “diplomatie de la canonnière” sont péniblement semblables, partout dans le monde, quelle que soit la puissance occidentale engagée, quel que soit le pays extra-occidental cible. Acte 1 : Des “blancs” sont maltraités. “Blancs” et pas de tel ou tel pays. À Alexandrie, le dimanche 11 juin 1882, il n’y avait même pas d’Anglais parmi les victimes. À Casablanca, le 30 juillet 1907, trois Français parmi la dizaine d’Européens. L’inscription stato-nationale s’efface, hors de l’Europe, devant la politique de l’épiderme. Acte 2 : la sur-réaction armée et moralisatrice. Face aux “derniers outrages”, aux “hystéries barbares”, l’ordre métropolitain intervient comme principe éthique et rationnel. Hanoi, Shanghai, La Havane, il n’y a pas que la rive sud de la Méditerranée qui a reçu la bonne parole par la bouche des canons.
Passée la frontière inconsciente qui séparait l’Occident du reste du monde, deux phénomènes étranges se produisaient. D’abord, l’ouvrier, l’étudiant, le clochard, devenaient des “Européens”, membres, malgré les féroces rivalités nationales ou sociales, d’une même communauté. Ensuite, cet “Européen” se trouvait soudainement dépositaire d’une valeur à faire rêver les anges. Ainsi, par exemple, le 20 juin 1907 à Perpignan, 5 ou 6 ouvriers français sont tués au nom de la république. Un mois plus tard, le 30 juillet 1907, le meurtre de 3 autres ouvriers français, mais à Casablanca cette fois-ci, déclenchait une intervention de cette même république : la frontière coloniale était un démultiplicateur d’âme.
Le titre de 20minutes.fr a été retiré. Pourtant, il est exact, à sa manière. “… dont 4 blancs” aurait signifié, il y a un peu plus d’un siècle, l’appel à l’intervention sanglante et ravageuse d’une puissance occidentale contre l’insolent qui s’en est pris aux blancs.
La frontière raciale-coloniale (devenue la frontière Nord-Sud) se dissipe lentement, tout en s’exacerbant dans l’ordre du discours. Je parie que dans les années à venir, le “blanc” va redevenir un signifiant politique majeur. Les lapsus se multiplieront, au cœur des métropoles occidentales. Après le Grand blanc de Lambaréné, ce docteur Schweitzer emblème des grands humanitaires coloniaux, voici venir le temps des petits blancs de Grand-Bassam, bornes témoins d’un changement des temps à la recherche de ses mots.