A la fin des années 1920, Mohamed Ben Hassan El Hajoui, esprit éclairé et en avance sur son temps, déclenche une polémique orageuse en animant une série de conférences au Maroc et en Tunisie. Lors de ces rencontres, il défend ardemment l’éducation des femmes et exhorte ses coreligionnaires à envoyer leurs filles à l’école. Pour lui, grand alem d’Al Qaraouiyine, il n’existe rien en islam qui interdise qu’une jeune fille s’instruise, apprenne à lire et à écrire et fréquente les bancs de l’école. Des idées qui peuvent sembler banales de nos jours, mais qui ont suscité à l’époque une violente levée de boucliers de la part des hommes de religion et du Makhzen. Dans l’esprit d’El Hajoui, éduquer une fille était plus qu’un besoin personnel, c’était une nécessité historique. Il répétait souvent que la société marocaine ne rattraperait jamais son retard sur les autres nations si sa moitié est percluse d’ignorance. Pour ses adversaires, il s’agissait d’une hérésie, une audace dangereuse et inquiétante. L’éducation des filles menaçait la domination masculine et ébréchait son principe fondateur: inférieures, par leur ignorance et leur statut social, les femmes doivent être guidées et mises sous tutelle par les hommes. El Hajoui a perdu son combat, mais l’histoire et l’évolution du Maroc ont donné raison à ses idées. Depuis, beaucoup de choses ont changé.
Dans notre pays, la forteresse millénaire de la domination masculine est ébréchée. Ses fondements vacillent, se fendillent et elle est condamnée, tôt ou tard, à s’effondrer. Les tenants de l’ordre établi, ceux qui pensent qu’un homme est naturellement supérieur à une femme, sont de plus en plus à court d’arguments. La femme est ignare? Selon les chiffres, les filles ont de meilleures notes que les garçons à l’école. Est-elle faible et incompétente? L’Allemagne, la grande puissance d’Europe, est brillamment dirigée par une femme. Mais il suffit de voir le niveau des hommes qui dirigent le monde arabe pour remballer sa testostérone. Dans une logique marxiste, le changement des structures économiques au Maroc est en train de métamorphoser les mentalités et les perceptions.
L’école et l’entreprise sont les principaux agents de ce bouleversement. L’affirmation de la place de la femme se fait tous les jours par les études, le travail, la normalisation de son accès à des postes à responsabilité, etc. Une évolution qui perturbe et dérange. Le mâle dominant est alors désarçonné, son monde s’effondre autour de lui. “Mon fils, tu es plus beau et bien meilleur que ta sœur”, la rengaine que sa mère lui répétait inlassablement, s’évapore et se perd dans le tumulte d’une société qui bouge et avance. Il se rassure comme il peut et se berce de vieilles lunes. Menacé et bousculé, il s’arc-boute sur ces préjugés machistes, rabaisse du regard ou du verbe les femmes dans l’espace public, et explique la sécheresse, les criquets, les déboires de la sélection nationale et la pénurie des oignons sur le marché par ces femmes qui ont si mal changé, selon lui. L’inégalité en héritage est un refuge, un dernier brin d’herbe métaphysique auquel il se raccroche pour légitimer sa prétendue supériorité, son jardin d’Éden en flammes. Peu lui importent les conditions de la révélation de cette disposition religieuse et sa portée réformatrice à l’époque, ce qui lui importe c’est le vernis sacré, l’onction divine d’une domination qui l’arrange, mais lui échappe désormais. Pauvre domination masculine!