Kamal Hachkar : « L’histoire marocaine ne commence pas avec la dynastie des Idrissides»

Après Tinghir-Jérusalem, Kamal Hachkar récidive avec Retour au Pays natal. Bande-annonce et rencontre avec le réalisateur qui raconte la judéité du Maroc.

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Après la sortie de son premier documentaire, Tinghir-Jérusalem, Kamal Hachkar a quitté son poste de professeur d’histoire en France en 2013 pour revenir au Maroc et se consacrer à son deuxième film, Retour au Pays natal. En cours de production, ce nouveau documentaire se penche sur le désir des petits-enfants des Juifs qui ont quitté le Maroc dans les années 50 de retrouver, par l’art, la terre qui a vu naitre leurs aïeuls. Par ailleurs, le réalisateur appelle de ses vœux une « alya inversée » pour construire un Maroc « démocratique, progressiste et pluriel ». Kamal Hachkar dévoile pour Telquel.ma la bande-annonce du film dont la sortie est prévue fin 2016. L’occasion de revenir avec lui sur la marocanité de ces habitants d’Israël, la judéité du Maroc et le rôle de l’école dans la prise de conscience de cette diversité.

(La bande-annonce de Retour au Pays natal sera diffusée le 27 février à L’Uzine, à l’occasion d’une projection-débat de Tinghir-Jerusalem en présence de son réalisateur.)

Retour au Pays natal se penche à nouveau sur l’héritage juif du Maroc. En quoi diffère-t-il de Tinghir-Jérusalem ?

Mon premier film était sur le passé. Dans Tinghir-Jérusalem, je suis retourné voir ces musulmans qui ont connu la présence juive au Maroc. J’ai essayé de recréer un lien autour de cette mémoire. Dans ce deuxième film, je continue d’explorer cette thématique de nos identités et mémoires plurielles, mais cette fois-ci à travers le regard de la jeune génération d’artistes, juifs et musulmans, qui perpétuent cet héritage, par la musique notamment. Autour de deux personnages principaux — Neta Elkayam et Amit Haï Cohen, deux musiciens qui vivent à Jérusalem et chantent en darija —, on revisite le patrimoine judéomarocain. La famille de Neta est originaire de Tinghir comme moi. L’Histoire nous a séparés, mais à travers le cinéma j’essaye de recoller les morceaux d’un puzzle. C’est un peu le miroir de ce que le Maroc aurait dû continuer à être.

Vous questionnez aussi la notion de demeure et la quête d’un « chez soi ».

Ma condition d’enfant d’immigré, franco-marocain m’y a prédisposée. J’ai quitté le Maroc à l’âge de six mois, mais je revenais chaque été au bled. Je me posais plein de questions. Qui suis-je ? Où est ma place ? Quand on entre dans les maisons vides de ces Juifs qui sont partis, on ressent une forme d’empathie. On se demande comment on peut quitter le lieu qui nous a vu naitre, en se disant qu’on ne le reverra plus jamais de sa vie. Les artistes que l’on va suivre dans le film, et qui sont nés en Israël, ont créé par leur art une sorte de demeure mentale. Leur maison n’existe plus au Maroc, donc leur demeure mentale est fantasmée sans doute. J’ai envie de les confronter aux artistes qui sont ici au Maroc, qu’ils soient juifs ou musulmans. Mon exemple personnel m’a aussi marqué, puisqu’après avoir fait un film sur ceux qui sont partis, alors que je vivais en France, j’ai décidé de revenir à ma terre natale en m’installant à Marrakech. J’ai longtemps fantasmé le Maroc, même s’il n’y a jamais eu de véritable rupture, mais j’ai enfin le sentiment d’être à ma place.

Dans le départ des Juifs du Maroc, n’y avait-il pas déjà une notion de retour aux sources ?

Bien sûr. Ils rêvaient de Jérusalem. Ils priaient trois fois par jour « l’an prochain à Jérusalem ». C’est comme s’ils se sentaient un peu étrangers ici. Leur marocanité s’est réaffirmée avec une force incroyable quand ils ont été arrachés au Maroc. Pour la génération qui est partie, la terre d’origine était la terre ancestrale d’Israël, au sens biblique du terme. Ils réalisaient alors un rêve messianique religieux. Mais pour leurs descendants, la terre d’origine c’est le Maroc. C’est pour ça qu’ils reviennent chaque année, et transmettent ces racines à leurs enfants.

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Le Maroc est-il prêt pour un retour des Juifs ?

Je rêverais que le Maroc accueille le retour de ses enfants de confession juive. En terme de diversité, économique, culturelle, ce serait formidable. On ne mesure pas encore la perte et la tragédie qu’ont constituées ces départs dans les années 50-60. On en paye encore le prix aujourd’hui parce qu’une société avance quand il y a une émulation provoquée par la diversité ethnique, culturelle et confessionnelle. Je rêverais que les politiques marocains facilitent l’obtention de papiers marocains pour les enfants de ceux qui sont partis. Faisons ce que le mouvement sioniste a fait à l’époque en facilitant le retour de cette jeunesse juive marocaine. Il y a quelques retours déjà, malheureusement rares, mais ceux qui reviennent en sont très heureux. C’est aussi à l’État de ne pas les oublier. Pas uniquement les Juifs d’ailleurs, mais la diaspora marocaine de manière générale. On en a besoin pour construire ce Maroc démocratique, progressiste et pluriel. Je crois que les Marocains y sont prêts, mais si on a davantage de figures publiques, comme Gad Elmaleh par exemple, auxquelles les Marocains peuvent s’attacher, il y aura une prise de conscience de notre pluralité.

Vous étiez professeur d’histoire. Comment l’école peut donner à réfléchir sur la pluralité des identités marocaines ?

Rappeler tout simplement que cette terre est africaine, méditerranéenne et amazighe, c’est très important. Il a fallu des années pour reconnaître cela et l’inscrire dans la Constitution. On a été les victimes du panarabisme qui voulait nous réduire à une seule identité. On le voit bien dans le débat de l’enseignement des langues. L’arabisation a été une catastrophe pour l’enseignement national public. Il était temps qu’on revienne à l’apprentissage du français dès le primaire. On apprend aujourd’hui aux jeunes Marocains une histoire mutilée de sa composante plurielle. Son identité juive notamment, mais aussi amazighe et sahraouie. Pour faire prendre conscience aux Marocains de la complexité de notre Histoire, il faut absolument inscrire dans les programmes scolaires, dès le primaire, l’apprentissage de toutes ces identités marocaines. L’histoire marocaine ne commence pas avec la dynastie des Idrissides et la fondation de la ville de Fès.

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