Le mois de février est déjà bien entamé. L’hiver semble avoir à peine démarré. La pluie et le vent ternissent tes cheveux et ravivent tes doutes. À bien y regarder, la vie c’est maritime et, en février, la vie semble tanguer mollement. Même le nombre de jours de ce mois ne te semble pas logique du tout. Et puis, tu ne comprends pas vraiment la raison et l’utilité de ce concept d’année bissextile. Et puisqu’elle est bissextile, pourquoi tous les quatre ans? Bref, pour toi, février c’est douteux et froid, c’est rêver d’être sous un plaid et déprimer en pensant à l’été qui semble beaucoup trop loin. À part une semaine au ski, tu as bien du mal à imaginer ce qui pourrait te donner bonne mine pendant ce drôle de mois, et ce n’est pas faute d’avoir essayé à peu près tout ce qui se fait comme soins du visage et gommages. En février, tout te semble terne. Pourtant, les magazines ont l’air formels: c’est le mois de l’amour! Février, vraiment? Tout ça parce qu’il y a le 14! Si ça ne tenait qu’à toi, tu ferais en sorte de le rayer du calendrier. Mais il est bien là, et même si ta notion du temps est généralement très floue, tu ne peux pas faire semblant d’ignorer ce jour.
D’habitude toi, tu n’as conscience que des saisons. Tu ne sais jamais exactement l’heure qu’il peut bien être si ce n’est pas celle de l’apéro, qui varie selon la tombée de la nuit et donc le moment de l’année. Tu dois reconnaître qu’avant le jeudi tout te paraît similaire et morose. Seul un vernissage du mardi peut égayer tes débuts de semaine et te faire oublier un peu tes regrets accumulés pendant le week-end. Donc non, tu n’es définitivement pas très douée pour te repérer dans le temps. Tu te contentes de penser qu’il est souvent un peu tard, trop tard peut-être. Mais le 14 février, tu as l’impression que l’humanité entière s’est liguée contre toi pour te rappeler que ce jour est censé être léger et joyeux comme une coupe de champagne, alors qu’il sera pour toi insipide et triste comme une tisane dépurative aux chardons. Ton téléphone vibre pour t’informer que tu peux te faire livrer un plateau de sushi spécial love. La seule question qui t’interpelle vraiment est: à quoi ressemble un plateau de sushi spécial love? Du riz coloré à la betterave? Parce que l’amour ça doit être rouge. Du soja aphrodisiaque? Parce qu’aujourd’hui tout est permis. Des sashimis en forme de cœur? Parce que tout doit être en forme de cœur. Tu te demandes… Et tes copines aussi te donnent le tournis.
D’un côté, Zee t’exaspère avec sa posture quasiment politique de refus catégorique de fêter l’amour. Elle s’évertue chaque année, depuis ses quinze ans, à organiser une contre Saint-Valentin à laquelle tu refuses de te rendre et que tu trouves assez sordide. Parce que ce genre de contre-soirée, à son âge, dénote tout de même une névrose, peut-être même plus grande que la tienne. Tu vas te refaire une petite tisane, ça conserve. Maya et sa lubie annuelle pour le romantisme t’agacent tout autant. Elle semble, chaque année à la même date, avoir perdu toute notion de bon sens et de bon goût. Tu te demandes comment elle arrive à s’oublier au point de devenir totalement niaise devant la plus kitsch des boîtes de nougats en forme de cœur ou le plus rugueux des ours en peluche si tant est qu’il ait un petit nœud rouge. Quant à son idée d’épilation spéciale Saint-Valentin, plutôt ne pas en parler. Il y en a même qui vont jusqu’à tenter de t’expliquer qu’il est prouvé que ce jour a effectivement un sens. La saison des amours chez les oiseaux débuterait à cette date. Ok, tu veux bien t’émouvoir des roucoulements, mais tu ne vois pas trop pourquoi ça devrait impacter ta vie. Toi, tu attends l’hirondelle qui fera ton printemps.