Cette chronique a suscité de nombreuses réactions et divisé ses lecteurs entre l’adhésion totale à ses propos et le rejet catégorique de ses conclusions. Sans se lancer dans des généralités sur le monde arabe, intéressons-nous à cette question au Maroc. Seuls l’aveuglement ou la mauvaise foi pourraient nous empêcher de constater l’existence d’une misère sexuelle dans notre pays. Elle est visible, patente et vérifiable. Des sociologues comme Soumaya Naamane Guessous ou Abdessamad Dialmy ont consacré de nombreux travaux à cette problématique. Une misère qui se manifeste en tant qu’agressivité envers les femmes dans l’espace public, balancement schizophrène entre tabou et désir, consultation frénétique des sites pornographiques, etc. Mais comme les autres misères, elle est également l’expression et le résultat des inégalités sociales et économiques.
Contrairement à d’autres pays du monde arabe, le Maroc connaît depuis des années une libéralisation progressive des mœurs. Des couples vivent (illégalement certes) en dehors du cadre du mariage, la loi n’impose aucun règlement vestimentaire aux femmes et les nouvelles technologies ont changé les espaces de contact et de rencontres entre les sexes. On évoque souvent “une révolution sexuelle” au Maroc, mais le terme est exagéré. Néanmoins, cette libéralisation des mœurs ne bénéficie pas à tout le monde. Elle crée même une situation d’inégalités et de frustrations et prolonge les fractures sociales. Ainsi, un jeune au revenu confortable, disposant d’une voiture et d’un logement, pourrait profiter amplement, s’il le souhaite, de cette transformation. Il peut multiplier les conquêtes et vivre une sexualité débordante.
Le “marché” sexuel au Maroc, en tant qu’espace de relations entre les individus, est à l’image de l’économie du pays : capitaliste, libre et inégalitaire. Des milliers de jeunes, dans les quartiers populaires ou les zones rurales, vivent la libéralisation des mœurs dans leur pays comme une frustration ou une humiliation. Sans ressources financières, vivant sous le même toit avec leurs familles, ils observent ce changement, impuissants et démunis. “Tu regardes, mais tu ne touches pas !” tel est leur sort. La sexualité n’est pas vécue comme un épanouissement et une jouissance de la vie et des corps, mais plutôt comme un dépérissement, un désert de frustration que l’on traverse chaque jour. La misère des sens finit par produire des formes de sexualité pathétiques, et se transforme en agressivité et violence dont les premières victimes expiatoires sont les femmes. Tabous et interdits alimentent cette indigence et lui fournissent le vernis de la sacralité. Cette misère sexuelle est probablement la plus profonde et la plus déterminante des misères au Maroc. @Atourabi