Il était succulent de voir Mustapha Ramid exposer, dans une émission de télévision le week-end dernier, ses idées sur l’égalité en héritage. Le ministre de la Justice expliquait calmement et péremptoirement qu’il s’agit d’une question réglée par le coran, et que le texte religieux en question ne peut être sujet à interprétation. On ne s’attendait pas à une autre réponse de la part d’une figure de proue du mouvement islamiste, réputé pour son conservatisme affiché et assumé. Mais dans la même émission, au détour d’une phrase, Mustapha Ramid affirmait que certaines dispositions de nature religieuse, comme l’amputation de la main du voleur ou la lapidation, relèvent plutôt de l’histoire de l’islam et qu’elles ne sont plus à l’ordre du jour. Et c’est là où les choses deviennent intéressantes. Car en 2002, le même Mustapha Ramid déclarait qu’il ne voyait pas d’inconvénient à l’application de la Charia au Maroc, y compris “couper la main aux voleurs”. Une déclaration qui a provoqué, à l’époque, de nombreuses réactions et fait bondir certains de ses frères au PJD, qui cherchaient à normaliser l’existence du parti et lui donner un visage “acceptable”.
Le changement de vision chez Ramid est vraisemblablement sincère, mais il est symptomatique d’un trait commun chez les conservateurs au Maroc: l’inconstance. Au début il y a le refus, un non catégorique et une opposition farouche à toute nouveauté ou idée qui essaye d’ouvrir d’autres voies. Un conservateur commence toujours par exprimer son rejet à tout ce qui ne correspond pas à son référentiel et à son modèle figé. Et pour étayer sa position et lui donner un caractère sacré, il recourt à l’arme fatale: l’argument religieux.
Le conservateur déploie versets et hadiths, les brandit pour sanctuariser sa position et évacuer tout débat. Dans son esprit, le monde a arrêté de tourner depuis des siècles et le passé est toujours ce qu’il y a eu de meilleur. Sauf qu’il y a le mur de la réalité contre lequel se fracassent toutes les idées qui ne veulent pas s’y accommoder. S’adapter ou périr, telle est la loi historique que le conservateur médite et à laquelle il se plie. Il change donc son fusil d’épaule, réfléchit, cogite et finit par trouver dans les mêmes textes religieux les arguments pour soutenir ce qu’il combattait avant.
L’histoire du Maroc est truffée de ce genre de revirements et de contradictions. C’est ainsi qu’au début du siècle, et à l’exception de quelques esprits éclairés, les ouléma étaient opposés à l’éducation des filles, au nom de la religion, avant de se raviser plus tard et de finir par l’admettre. On ne compte d’ailleurs plus les fatwas prononcées contre l’introduction des nouvelles technologies, des élections, des droits de la femme, sous couvert de protection de l’identité musulmane du Maroc. Plus récemment, on a même pu constater que les dirigeants du PJD défendaient désormais les dispositions du nouveau Code de la famille, dont ils étaient pourtant des adversaires coriaces pendant des années. Ce n’est pas l’esprit girouette des conservateurs qui tourne, mais le vent de l’histoire qui impose sa direction.