Reportage: Les maisons de l'espoir contre le cancer

A l’occasion de la journée mondiale contre le cancer, nous sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui viennent de tout le Maroc pour se soigner à Casablanca.

C’est par une belle matinée ensoleillée que nous allons visiter la Maison de vie pour adultes de Casablanca. Construite en 2007 par la Fondation Lalla Salma pour la prévention et le traitement des cancers, cette jolie villa du quartier des Hôpitaux accueille des patients qui sont de passage à Casablanca pour se faire soigner au CHU Ibn Rochd. Il s’agit de malades qui n’ont pas de famille dans la métropole, et pas les moyens d’aller à l’hôtel. Pour la modique somme de 15 dirhams par jour, la Maison de vie prends en charge leur hébergement, leur repas et leur transport vers l’hôpital. Avant la création des maisons de vie, les malades dormaient dans la rue, ou dans le hall du CHU entre deux séances de chimiothérapie, et cela pendant plus d’une semaine. Certains étaient tellement découragés qu’ils laissaient tomber leur traitement définitivement et rentraient chez eux. Dans le patio lumineux de la villa, nous rencontrons Malika, 24 ans, et Chaounia, 50 ans. Installées à une table, elles discutent de leur expérience respective. Leur point commun ? Elles viennent toutes les deux d’arriver, et elles sont toutes les deux originaires de petits villages situés dans des régions qui ne possèdent pas encore de centre d’oncologie.

Destins croisés

La première vient des environs de Khouribga, et la deuxième, Beni Mellal. « Cela fait plus de six mois que je sens une douleur à mon sein gauche. Dès le début, je savais que ce n’était pas normal, mais quand je suis allé voir le médecin du village, il m’a affirmé que je n’avais rien. Pendant des mois, il m’a demandé de mettre une pommade et de venir le voir régulièrement. Et un jour, il a paniqué et il m’a enfin dit la vérité. Que j’avais un cancer du sein et que je vais rapidement aller à l’hôpital de la ville si je voulais m’en sortir », nous explique Malika, analphabète, qui est venue accompagnée de sa mère. « Je n’ai plus qu’elle, et elle a tenu à venir avec moi, même si elle est très âgée », poursuit-elle.

« Dans mon cas cela a duré deux ans. Je suis allée voir plusieurs médecins et ils m’ont tous dit que si je ne me sentais pas bien, c’est parce que j’étais en pré-ménopause. Mais un jour je suis évanouie au marché du village. Quand l’ambulance m’a emmené au centre de santé le plus proche, une femme médecin m’a dit que j’avais un cancer du col de l’utérus, et qu’il était a un stade avancé », confie Chaounia.

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Des histoires tristes qui ne sont malheureusement pas des exceptions. « Il nous arrive de recevoir des patients qui sont à un stade avancé, parce qu’ils ont perdu des années à essayer des remèdes inefficaces prescrits par des guérisseurs et des charlatans. Mais heureusement, ces cas sont de plus en plus rares », nous explique Brahim Adnane, directeur de la Maison de vie. Dès que les deux femmes ont été diagnostiquées, elles ont commencé la procédure pour obtenir leur carte RAMED, leur permettant d’être soignées gratuitement. Grâce aux différents partenariats signés par la Fondation Lalla Salma de ces dernières années, les soins et les médicaments des patients cancéreux les plus démunis sont totalement pris en charge. Leurs précieux papiers en poche, elles sont venues à Casablanca avec l’espoir de vaincre la maladie.

Vie quotidienne

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A quoi ressemble le quotidien des résidents de la Maison de vie de Casablanca ? Installés dans l’une des 20 agréables chambres doubles – toutes équipées de TV, de chauffage, et d’une salle de bain indépendante- ils sont réveillés vers les coups de 8h par les surveillantes, infirmière de formations. Après un copieux petit-déjeuner collectif servi dans le réfectoire de la maison de vie, les patients sont conduits en minibus à l’hôpital. Plusieurs shifts sont prévus, selon les plannings de séances de chimiothérapies ou de radiothérapies de chaque malade. A leur retour, ils reçoivent chacun leur repas, et sont libres d’organiser le reste de leur journée comme ils le souhaitent. Certains préfèrent rester dans leur chambre, alors que d’autres choisissent de s’installer dans le jardin, ou bien dans le patio pour regarder la TV ou discuter avec d’autres patients. Les visites des membres de l’entourage sont également permises tous les jours jusqu’à 18h. « Il est important que les malades puissent se changer les idées. Plusieurs associations viennent organiser des goûters le week-end chez nous. Nous avons aussi des bénévoles qui viennent leur tenir compagnie », affirme Brahim Adnane.

Ces bénévoles paient parfois les frais d’hébergement des malades en faisant directement un virement sur le compte bancaire de la Fondation. « En venant ici, nous n’avions aucune idée qu’il y avait des personnes qui allaient se soucier de nous. Honnêtement, je me sens encore mieux ici que chez moi. Les conditions sont bien meilleures », nous confie Malika. Pour remonter le moral aux troupes, la Fondation Lalla Salma envoie régulièrement des esthéticiennes, qui viennent offrir aux patientes des soins de beauté et de bien-être. « C’est généralement un grand moment, et la bonne humeur se propage dans toute la maison », nous confirme une infirmière.

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Au coin des enfants

A quinze minutes en voiture de la villa se trouve une autre Maison de vie, dédiée aux enfants. Inaugurée en grande pompe en 2014, elle est la première du genre au Maroc. « Avant, il était très difficile de faire cohabiter des enfants et des adultes atteints du cancer. Les plus âgés étaient parfois dérangés par les plus petits, qui ne comprenait pas pourquoi ils ne pouvaient pas s’amuser », nous explique Brahim Adnane. Composée de 29 chambres doubles, cette maison de vie dégage la joie de vivre. Les couleurs sont vives, et la décoration adaptées aux petits bouts de chou.

Chaque chambre à un design unique, et les thématiques vont de Winnie l’Ourson, à Cars en passant par des fées ou des petits chats. Le but ? Faire en sorte que les enfants oublient leur maladie, et se sentent en sécurité pendant leur traitement. Wafaa, infirmière, nous explique que cela marche plutôt bien : « Malades ou pas, ils restent des enfants. Ils veulent juste jouer et s’amuser, et ils y arrivent quand ils sont ici ». La maison de vie est également équipée d’un coin jeu pour les plus petits avec peluches et poupées, d’un coin bibliothèque et d’un coin cyber pour les plus grands.

Nous croisons Mehdi, 6 ans, et sa mère, qui viennent d’Azilal. Ils font des allers-retours réguliers depuis qu’il a été diagnostiqué d’une leucémie il y a deux ans. Timide, Mehdi se cache derrière sa maman. « Je ne sais pas comment nous aurions fait si la Maison de vie n’existait pas. Nous n’avons aucune famille ici et je n’ai pas les moyens d’aller aussi souvent à l’hôtel. Ce qui me réchauffe le cœur aussi, c’est qu’il se sent bien ici, il est même heureux quand nous prenons la route vers Casa, parce qu’il sait qu’il va retrouver ses compagnons de jeux», affirme-t-elle. Des éclats de rire nous parviennent d’une autre chambre au fond du couloir. Omar, 7 ans, regarde un dessin animé avec sa mère. Originaire de Tanger, le petit garçon est seulement là depuis quelques semaines. « Il ne comprends pas encore pourquoi on vient à Casablanca, mais il est content de venir. Le moment le plus heureux est sans aucun doute le jour où Lalla Salma est venue ici. Elle a joué avec lui et plusieurs enfants pendant un petit moment », nous explique la jeune femme. Mais est-ce que les enfants l’ont reconnue ? « Bien sur, ils étaient surexcités ! Ils la voient régulièrement à la TV, ils savent très bien que c’est la femme du roi. Ils voulaient savoir si elle allait revenir», nous réponds Wafaa.

Contrairement à ce que l’ont aurait pu penser, on ne ressort pas déprimé de ces maisons de vie. Parce qu’il y a un point commun entre tous ces malades. Ils sont tous plein d’espoir, et ne doutent pas une seule fois de leur guérison. Parce que la situation de la cancérologie au Maroc a changé, et aussi parce qu’ils sont entourés de bénévoles, qui leurs rendent visite régulièrement pour leur remonter le moral. Et c’est bien cela le plus important.

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