Les experts nous disent que la baisse du prix du baril de pétrole va durer. Tous les paramètres vont dans ce sens: le retour de l’Iran sur le marché mondial, la mise en conformité des installations libyennes et irakiennes, les énormes gisements américains mis en exploitation ou en attente… Voilà pour l’offre. Et pour la demande, un double repli: la transition énergétique qui s’accélère dans beaucoup de pays développés ou émergents et la crise chinoise. Mécaniquement donc, le prix du baril est à la baisse.
Mécaniquement aussi, les pays mono-exportateurs vont traverser des turbulences. Il est possible que beaucoup de régimes n’y survivent pas. Deux pays arabes en particulier, deux pays aux systèmes et aux alliances opposés, vont connaître l’ordalie politique que beaucoup annoncent depuis une décennie: l’Arabie Saoudite et l’Algérie. Ces deux pays ont fait le choix, dans les années 2000, de recouvrir les fractures et les failles socio-économiques d’un flot de pétrole. La marée noir et or cacha les contradictions de Riyad et d’Alger. On parlait encore de réformes structurelles et de nécessaires reconversions, mais en réalité, ni les princes de Riyad ni les militaires d’Alger ne prirent le risque de faire subir à leurs sociétés respectives les électrochocs obligatoires. On vécut de rêves et de subventions.
Quinze ans plus tard, où en sommes-nous? L’Algérie, dernier pays arabe du “front du refus”, après le naufrage de la Libye, de l’Irak et de la Syrie, risque, ironiquement, de se retrouver du même côté de la crise politique que l’Arabie Saoudite, leader des pays pro-occidentaux.
Jouons à imaginer quelques scénarios possibles. La situation algérienne rappelle, par bien des aspects, la situation russe de la fin des années 1990. Moscou périclitait, à l’image de la santé d’Eltsine, puis il y eut Poutine. Alger est à l’image de l’agonisant Bouteflika, mais d’où viendra le Poutine algérien qui remettra, tant bien que mal, le pays en ordre?
En Russie, ce sont les services secrets qui ont fourni au pays, historiquement, son armature, beaucoup plus que l’armée, qui n’a jamais joué de rôle politique important. Tchéka, NKVD, KGB, FSB, les noms ont changé pour une même réalité. De celle-ci ont émergé Vladimir Poutine, sa morale, ses objectifs et ses méthodes. La Russie n’est pas devenue un pays libéral avec Poutine, mais la Russie fonctionne de nouveau. En Algérie, c’est l’armée qui joue ce rôle de colonne vertébrale. Il est logiquement probable qu’il y ait, en ce moment, quelque part dans une caserne ou un bureau militaire, un gradé quinquagénaire algérien qui se prépare à jouer le rôle de Poutine pour l’Algérie. C’est-à-dire à faire traverser au pays une période difficile d’austérité économique et de restructuration sociale, à coups d’autoritarisme, de mise au pas des oligarques et de renouveau d’une politique extérieure agressive mais mesurée. Ce scénario paraît-il sombre? C’est encore le moins catastrophique. Parce que l’éclatement de la Syrie ou de la Libye laisse supposer ce que pourrait être l’effondrement d’une république arabe autoritaire et rentière.
Quant à l’Arabie Saoudite, malheureusement, on peut déjà pronostiquer, tôt ou tard, des tiraillements intérieurs violents et peut-être même un éclatement à la syro-irakienne. Et si Alger ne trouve pas son Poutine, l’ironie historique ferait que deux pays arabes que tout oppose, l’Algérie et l’Arabie Saoudite, se retrouveraient dans une même situation de délitement intérieur.