Salut à vous, infatigables bâtisseurs du Maroc Moderne. Vous avez une belle mine, c’est incontestable. On ne peut malheureusement pas en dire autant de Zakaria Boualem, qui a vécu une semaine des plus difficiles. Il faut dire que notre homme, pour une raison connue de lui seul, a décidé de s’intéresser à notre équipe nationale et à son parcours en Championnat d’Afrique des Nations. Pour les bienheureux qui ne savent pas de quoi il s’agit, il faut préciser que c’est une sorte de CAN réservée aux joueurs locaux, une compétition de consolation pour les joueurs barrés dans leur sélection par les binationaux. Le Boualem pensait donc naïvement voir nos vaillants botolistes guerroyer avec passion pour nous faire oublier nos soucis, nous ramener à leur corps défendant un trophée au prestige improbable. Du tout. Ils ont commencé par un match nul insipide contre le Gabon, avant d’enchaîner par une défaite contre la Côte d’Ivoire. Une fois qu’il a été établi qu’il était impossible de se qualifier, ils ont sorti le grand jeu pour coller quatre buts inutiles au Rwanda et quitter la compétition la tête haute.
On pourrait penser que Zakaria Boualem est immunisé contre les crises de nerfs induites par ce genre de scénario. Après tout, il a vécu plus ou moins la même chose avec régularité depuis une bonne douzaine d’années. C’est faux: il est encore plus abattu que d’habitude. L’accumulation des défaites, plutôt que de lui durcir le cuir, a fini au contraire par lui ôter cette couche de résistance naturelle. Il a trop perdu, le bougre, c’est devenu insupportable. Il faut préciser que la dernière fois que le Maroc s’est qualifié pour la Coupe du Monde, c’était l’année où le défunt Hassan II nommait un Premier ministre de gauche –ça ressemble donc beaucoup à la préhistoire. Quant à notre dernier titre continental –l’unique en fait-, il correspond à l’année de naissance du Boualem, 1976. John Lennon était alors en pleine forme, et McEnroe n’avait encore gagné aucun tournoi. Depuis, nous avons perdu avec constance et créativité. Il faut donc l’écrire avec simplicité: nos équipes nationales sont très faibles (nos clubs s’en sortent bien mieux, avec une douzaine de coupes en tout, je vous laisse analyser ça). Zakaria Boualem, depuis des années, observe le cycle suivant:
1. Une Coupe d’Afrique se présente à l’horizon.
2. Nous nous sentons africains. Nous nous autoproclamons favoris.
3. Premier match de poule: nous sommes déçus et nous sortons la calculatrice.
4. Second match de poule: mauvais résultat mais on nous explique que c’est encore possible.
5. On découvre que cette Coupe d’Afrique est très compliquée, et que tant qu’elle se joue en Afrique on ne pourra pas la gagner. Convulsions de frustration (et quelques insultes).
6. Troisième match, élimination –cruelle de préférence.
7. Limogeage de l’entraîneur, débats sur la formation, go to 1.
Tel est le cycle infernal. Zakaria Boualem pourrait le suivre avec détachement, et pourquoi pas s’en amuser un peu, mais c’est impossible, et ce pour deux raisons. La première, c’est que notre équipe nationale, c’est un peu notre nation. Oui, en l’absence d’un projet collectif clair, d’une série de valeurs qui nous unissent sans doute possible, ou d’un objectif commun, il reste le mountakhab. On ne peut pas se permettre le luxe de se passer d’un tel ciment social en ces temps troublés. La seconde chose qui inquiète notre héros, c’est une petite théorie qu’il cultive depuis des années, qui veut que le football soit l’expression collective d’une société qui la définit le mieux. Si c’est vrai, alors nous sommes un peu grotesques. Et ça, même Zakaria Boualem ne peut pas bien le prendre. Donc, chers dirigeants du Maroc Moderne, créez des commissions, sous-traitez le foot à des Allemands ou achetez une solution clé en main, inventez un programme de formation pour 2 millions de bébés mâles du pays, faites ce que vous voulez, mais réglez-nous ce problème. C’est important, et urgent, et merci.