A Rabat, une source incontournable, Ahmed Réda Guédira, conseiller du roi et réputé son plus proche collaborateur. L’homme a des qualités peu communes: rigueur, éloquence, esprit clair. Il y ajoute un trait pratiquement unique. Ce R’bati ignore les salamalecs, n’a pas une minute à perdre et va droit à l’essentiel. Avec lui, l’entretien est toujours sur le pouce, il ne dure pas plus d’un quart d’heure. Déployant force de conviction et accents de sincérité, l’ancien avocat est redoutable. A n’y prendre garde, il vous fait carrément votre papier! Privilège rare, le conseiller me reçoit pour la troisième fois en une semaine. Nos discussions tournent autour du même sujet: que doit faire le royaume pour améliorer sa position diplomatique? A l’issue du dernier entretien, je me lève pour prendre congé quand le conseiller m’interroge: « Sur quoi vous allez écrire? ». Je lui dis la vérité: » Sincèrement, je ne sais pas. Aucun sujet ne s’impose, la situation est si confuse… » Puis j’ajoute: » Tenez, et si le Maroc acceptait le référendum? » L’idée qui venait de me traverser l’esprit, spontanée, nullement réfléchie, provoque une réaction inattendue et… comment dire? dramatique du conseiller: « Ah non, vous n’allez pas faire ça! » Il se lève, contourne son bureau et m’accompagne jusqu’à la porte. Et cet homme qui cultive le voussoiement, répugne à la moindre familiarité, me prend par les épaules et me conjure de ne rien écrire de tel et ajoute: »Ce n’est pas au journaliste que je m’adresse mais au patriote. »
A l’évidence, je tiens le bon sujet. La réaction totalement inhabituelle de Guédira ne laisse aucun doute là-dessus. Je cours à l’hôtel pour appeler la rédaction de Jeune Afrique: « J’ai un papier sur le Sahara qui ne souffre pas d’attendre et qui pourrait même faire la Une ». Je gratte rapidement 3/4 de page, où j’explique que le Maroc pourrait créer la surprise en acceptant le référendum d’autodétermination, avant de passer en revue les conséquences, les avantages et les risques. Retour à Paris, je découvre que mon papier figure bien dans le dernier numéro de JA mais sur un espace réduit et banalisé à souhait. Le massacre ne s’arrête pas là. L’article se termine par cette phrase ajoutée par le patron, Béchir Ben Yahmed, et qui jette le discrédit sur tout ce qui précède: « Quand on ne sait pas quoi faire, on fait n’importe quoi »! Quelques semaines après, exactement le 26 juin 1981, voilà que Hassan II annonce au sommet de l’OUA à Nairobi que le royaume accepte un « référendum contrôlé » au Sahara. A l’issue de la réunion hebdomadaire de la rédaction autour de BBY, je montre au patron l’article inconsidérément maltraité. « Désolé, me dit-il, j’avais cru que vous étiez intoxiqué par vos compatriotes. »
Trous de mémoire. Le journaliste et le patriote
Par La Rédaction
Reportage au Maroc en mai 1981. L'actualité est dominée par l'affaire du Sahara et les difficultés diplomatiques du pays. On peut parler d'un certain isolement international du royaume qui ne s'est toujours pas résolu à accepter le référendum d'autodétermination préconisé par l'ONU.