La première est l’Hubris, sentiment de toute-puissance, de démesure et de dépassement des limites, édicté par l’arrogance et l’impression d’invulnérabilité. Le second, appelé Némésis, est celui de la vengeance qui rééquilibre les choses, punit la personne tentée par l’Hubris et lui rappelle sa fragilité. Cette tentation de l’Hubris est de plus en plus visible au sein de l’état marocain. Après avoir connu le séisme du Printemps arabe, géré les turbulences des manifestations du 20 février et subi la contingence des événements de 2011 et leurs incertitudes, l’État pense avoir traversé le gué et être désormais dans une position de force. Un sentiment de puissance, de confiance excessive et de domination semble guider ses pas et ses actions. L’État, ou ce que l’on appelle abusivement “le Makhzen”, fait jouer en sa faveur la psychose et l’angoisse des Marocains qui observent comment le rêve du Printemps arabe s’est transformé en cauchemar et comment des révolutions ont abouti à des situations de chaos et de massacres. C’est probablement cette Hubris qui explique la répression sauvage des enseignants stagiaires la semaine dernière. Le temps où l’État ménageait les manifestants, les grévistes et les mouvements sociaux semble révolu. La fermeté de la réaction des autorités publiques apparaît comme l’expression d’une sensation d’omnipotence plutôt qu’une volonté d’appliquer la loi. Cette confiance excessive en soi est mauvaise conseillère.
Il n’est pas naïf ni niais de considérer que la démocratisation progressive est la meilleure garantie de stabilité du Maroc. Chaque pas en arrière, chaque acte de répression ou de réduction des libertés ne peut qu’entraîner le pays vers l’abîme et l’inconnu. L’histoire de notre région nous renseigne sur le sort des États qui n’ont pas cru aux vertus de la démocratie et n’ont écouté que la voix de leur puissance et leur orgueil. Cette démocratisation est un cumul, un processus graduel reposant essentiellement sur l’adhésion des citoyens et leur foi en la volonté ferme et déterminée de leurs dirigeants. Un recul, un mensonge ou la violation d’un engagement peuvent ébranler cette adhésion et réduire tout le processus à néant. L’Hubris actuelle de l’État et le penchant pour le statu quo ou la régression sont capables de miner et saborder tout ce qui a été réalisé jusqu’à aujourd’hui. Ce qui s’est passé la semaine dernière en est un indice. En regardant les images de l’intervention brutale des forces de l’ordre et en constatant le trouble du Chef du gouvernement, incapable de désigner un responsable, des interrogations se posent forcément sur l’évolution démocratique du pays. Le doute s’empare alors des esprits. Les promesses de la nouvelle Constitution et l’espoir de réformer les institutions à travers les urnes s’affaiblissent et s’étiolent et risquent de céder la place à l’indifférence et la méfiance. L’Hubris de l’État appellera alors la Némésis, dont personne ne connaît ni le visage ni la forme.