Vous avez raison de protester, ce n’est pas très original comme sujet. Mais il va tout de même l’aborder, appliquant à la lettre le doustour démocratique de cette page, qui consiste à choisir tout seul son sujet. Donc, les hooligans. Commençons par un petit rappel des données du problème. À intervalle de plus en plus fréquent, des supporters d’une équipe de football agressent des passants, des policiers, saccagent quelques biens publics ou privés, sèment la désolation autour d’eux avant de se faire oublier jusqu’au prochain match. Leurs sinistres exploits génèrent aussitôt une masse de réactions indignées qu’on peut résumer ainsi : « Ah, ces animaux méritent la potence, voilà ou nous mènent les droits de l’homme, il faut déplacer ce stade en dehors de la ville, ou imposer des billets d’entrée à 100 dirhams pour filtrer un peu ces sauvageons »… Ah chaque fois que le Boualem lit ce genre de réaction, il a les yeux qui piquent. Pour comprendre pourquoi, il faut décomposer tranquillement la phrase.
« Ces animaux méritent la potence, voilà ou nous mènent les droits de l’homme » On ne sait pas trop quel droit acquis récemment a favorisé l’émergence de cette nouvelle délinquance. Il ne s’agit sans doute pas du droit à l’éducation, dont on ne peut pas dire qu’il ait fait des progrès spectaculaires ces dernières années. Ni du droit à grandir dans un environnement épanouissant ni du droit à la culture, encore moins du droit à la dignité. Quant à l’appel au retour de la zerouata pour remettre un peu d’ordre… Il est vrai que c’est un réflexe tentant, mais il faut rappeler qu’elle n’a jamais vraiment disparu, en fait. On n’ira pas jusqu’à imaginer que le maintien de la politique de la zerouata ait d’une manière ou d’une autre participé à l’émergence de cette génération, mais c’est une piste à explorer – juste au nom de la rigueur scientifique.
« Il faut déplacer le stade en dehors de la ville ». Il s’agit là d’une des manifestations les plus éclatantes de la solidarité nationale. Si le stade était à Sidi Moumen, personne ne protesterait. Les habitants de ce quartier obscur méritent de voir leurs biens vandalisés, c’est leur quotidien, et de toute façon il n’y a pas grand-chose à détruire convenons-en. Mais en plein Maârif, c’est insupportable. Je vous laisser analyser ça.
« Il faut imposer un billet à 100 dirhams pour filtrer un peu ces sauvageons ». Il est des pays qui construisent des centres culturels et subventionnent les spectacles, qui multiplient les terrains de sports dans tous quartiers, ce genre de chose. Chez nous, une bonne partie des démunis n’a que le foot, c’est à peu près la seule chose qu’on n’a pas encore réussi à leur enlever. C’est un premier point. La seconde absurdité, c’est cette conviction étrange que le comportement et le portefeuille ont des évolutions parallèles. C’est très faux. Regardons notre football. Nous avons des hooligans dans les tribunes, soit. Montons d’un cran. À la tête des clubs, nous avons des présidents tout aussi glorieux. On se souvient de l’un d’entre eux, qui avait tenté d’arracher un micro en pleine assemblée générale tout en se répandant sur la sexualité de son interlocuteur. Ce n’est qu’un exemple, pris au hasard. Il avait réalisé ce geste technique au cours de l’élection du nouveau président de la fédération, lequel avait lui-même envahi une aire de jeu pour s’en prendre à un arbitre quelques mois plus tôt, ce n’est pas rien. Tout ce beau monde dépendait alors d’un ministre des sports, surpris un peu plus tard en pleine magouille politique par un enregistrement d’une classe absolue, ou la qualité de son langage et la haute teneur morale de ses stratagèmes avaient provoqué une sorte de vague d’admiration. Voici la chaine hiérarchique qui trône au-dessus de notre hooligan des tribunes. Alors, permettez à Zakaria Boualem de nourrir des doutes légitimes sur la corrélation entre les émoluments et le comportement, le rang supposé et l’éducation constatée.
Zakaria Boualem a plein d’autres choses à dire sur ce sujet, mais il est limité par la taille ridicule de cette page. C’est donc tout pour aujourd’hui.
Et merci.