Comme si la dénégation ne pouvait se passer d’une forme de reconnaissance inconsciente. De fait, amalgame il y a, et amalgame il y aura. Il ne s’agit plus de dénoncer le rapprochement, sauf à se payer de mots, mais de l’analyser froidement. Plus précisément, de savoir quelles connections se font entre islam et terrorisme, pour mieux les dénouer.
L’amalgame est un composé de métaux. Le monde musulman, et le Moyen-Orient plus précisément, est devenu une forge où d’anciens mélanges sont fondus et retravaillés. Un des minerais les plus prisés dans ce nouvel âge des métaux est l’islam. Parce qu’il est abondant: imams, politiques, premier quidam venu, personne n’est exclu du grand débat. Et parce qu’il est ductile: l’islam s’étire, se façonne, se travaille comme rarement une matière première peut l’être. Surtout, l’islam s’incorpore à presque tout: il y eut un socialisme musulman, comme il y a un autoritarisme musulman, comme il y aura probablement une social-démocratie musulmane. Et il se travaille sous toutes les formes: par les urnes et par les livres, par la télévision et par le marché, et par la violence politique.
Nier l’amalgame possible entre islam et terrorisme est vain. L’alliage est possible, il est, depuis quelques années, chaque jour démontré. La vraie (double) interrogation réside ailleurs: pourquoi cet alliage a tant de succès (plutôt qu’un autre, comme islam et état de droit par exemple), et surtout de quoi est-il exactement composé, parce que les deux éléments les plus soulignés, islam et terrorisme, ne sont qu’une part infime des composants?
Le terrorisme est devenu, depuis bientôt deux décennies, la forme naturelle de la guerre au Moyen-Orient. En soi, il n’est aucunement à l’origine des problèmes. Les racines des conflits sont ailleurs. Combattre le terrorisme reviendrait à combattre une armée, pas l’intention qui l’arme. Une pente a mené au terrorisme: l’échec des guerres classiques en Orient. Depuis 1973, plus aucune armée arabe étatique ne s’est confrontée à Israël. Depuis l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et l’opération Bouclier du désert qui suivit, en 1991, plus aucun pays de la région ne s’avisa de lui-même de se lancer dans une opération militaire ouverte. Les années 1990 produisirent alors quelque chose d’inattendu, un objet politique non identifié, le terrorisme international sans attache étatique. Al Qaïda, c’était l’inconscient meurtri de la région qui s’insurgeait contre la fin des États arabes souverains.
C’est l’effondrement de la légitimité des États arabes qui a produit le terrorisme comme recours à d’autres formes de lutte. On a pu croire, en 2011, que la restauration d’États reconnus par leurs peuples allait cicatriser cette plaie. Il n’en fut rien, parce que le monde arabe peine toujours à se doter d’États acceptés par ses populations. Celles-ci continuent donc de chercher dans leurs fondements identitaires de quoi suppléer l’absence d’un État protecteur.
Refuser l’amalgame entre islam et terreur, c’est le laisser aux mains de ceux qui l’intègrent à leur vision politique, et le mobilisent au service de leur programme. L’islam a croisé la violence politique plusieurs fois au cours de son histoire. Depuis un demi-siècle, c’est de nouveau le cas. Aborder cette situation sans faux-semblant est une nécessité.