Pour de nombreux Français, la percée fulgurante du Front national au premier tour des élections régionales est un véritable choc. Il n’y a pas si longtemps, personne ne songeait que ce parti d’extrême droite pourrait devenir un jour la première force politique du pays. Les analystes continuent à expliquer et à décrypter cette tendance et à sonder l’ampleur du phénomène. Au Maroc, la bienséance et le respect du choix des électeurs français nous empêchent de donner des leçons de démocratie ou de s’ériger en moralisateurs. Toutefois, la victoire d’un parti xénophobe, qui fait fructifier son fonds de commerce grâce à la haine des Maghrébins et la stigmatisation des musulmans, nous rappelle un fait, un constat: pour beaucoup de Marocains, il y a toujours eu deux France. L’une aimée, respectée et proche des cœurs, et l’autre exécrée, abhorrée et indigne.
La France qu’on aime est celle qui est éternelle. Patrie des valeurs humanistes qui ont influencé des générations entières de militants, d’intellectuels et de simples citoyens qui ont élargi l’horizon de leurs consciences en lisant Voltaire, Hugo, Sartre ou Camus. C’est la France de la Déclaration universelle des droits de l’homme que les nationalistes marocains accrochaient aux murs de leurs villes pour protester contre le protectorat de l’autre France, colonialiste et violente.
La France qu’on déteste, et qu’on essaye justement d’oublier est celle du protectorat, souvenirs douloureux pour des milliers de Marocains dont les parents ou grands-parents ont été tués ou torturés durant les 44 ans d’occupation. Elle est incarnée par cette armée brutale et sanglante qui a déversé un déluge de feu, de gaz et de désolation sur les combattants du Rif pour les contraindre à se rendre. C’est la France des intérêts économiques, froids et sans états d’âme, héritière de la fameuse devise “l’indépendance dans l’interdépendance”.
La France qu’on respecte, et envers laquelle beaucoup de Marocains sont reconnaissants, est celle de la culture, des lettres et du savoir. Cette France qui ouvre ses universités, ses écoles, ses centres de recherche et ses bibliothèques à de jeunes étrangers. Elle est hospitalière, accueillante et chaleureuse. Des générations de Marocains y ont trouvé ce dont ils ne disposaient pas dans leurs pays: une meilleure éducation, un foisonnement culturel et une réponse à leur curiosité. Certains ont choisi d’y rester et d’autres ont regagné leurs pénates, le cœur et l’esprit pleins de souvenirs.
Mais la France qu’on méprise et qu’on voue aux gémonies est celle des préjugés rances et stupides, des remarques racistes et des comportements xénophobes. Celle qui ricane pour un accent un peu exotique, qui refuse un CV pour délit de sale nom ou origine douteuse. Cette France des longues et humiliantes heures d’attente dans les mairies pour décrocher un titre de séjour ou celle du dédain dans les consulats où l’on délivre des visas comme si on donnait des sésames pour le paradis.
La France qu’on adore est celle de la convivialité, du savoir-vivre, et qui fait honneur au plaisir et à la vie. Il fait doux d’y vivre ou de s’y perdre. Mais il y a aussi cette autre France condescendante et hautaine, qui se complaît dans le mythe du déclin, qui se déteste et se referme sur elle-même. Hélas, c’est cette France qui est en train de prendre le dessus.