L'incroyable épopée à rebondissements du générique marocain contre l'hépatite C

Pharma 5 s’apprête à commercialiser son traitement générique contre l’hépatite C. Plongée dans une aventure aux airs de scénario de film américain.

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Crédit: AIC Press

Le 25 novembre, le ministre de la Santé annonçait en grande pompe lors d’une conférence la mise sur le marché d’un traitement abordable pour soigner l’hépatite C. Ce 1er décembre, c’était au tour de Pharma 5, le laboratoire inventeur de ce médicament, de communiquer en narrant aux journalistes la genèse du projet. Si les dirigeants ne se privent pas de mettre le paquet sur le storytelling, c’est que leur aventure s’y prête bien.

Tout a commencé début 2014. Le laboratoire américain Gilead annonce la mise sur le marché d’un médicament « révolutionnaire » à base d’une nouvelle molécule, le sofosbuvir, pour soigner les malades d’hépatite C. Avantage : ce traitement est moins long, beaucoup plus efficace et avec nettement moins d’effets indésirables que ceux qui existent déjà, et que les patients arrêtent parfois en cours de route. Point noir : le traitement est commercialisé 80 000 dollars (soit environ 800 000 dirhams), soit 10 000 dirhams le comprimé, ce qui en fait l’un des plus chers de l’histoire de l’industrie pharmaceutique.

Le Maroc exclu de la licence accordée aux Indiens

Plusieurs ONG se mobilisent pour dénoncer le prix jugé excessif et certains Etats refusent la demande de brevet de Gilead. L’américain décide alors de vendre la recette du médicament à des laboratoires indiens, autorisés à fabriquer ce générique (en échange de royalties). Nouvelle ombre au tableau : les Indiens n’ont pas le doit de vendre leur médicament partout, Gilead les autorise à le commercialiser dans 91 pays en développement, mais en exclut 100 autres. Parmi eux : le Maroc.

Face à ce que le Maroc considère comme étant une injustice, le ministère de la Santé demande au laboratoire américain d’intégrer le royaume dans la liste des pays bénéficiaires. Silence radio outre atlantique. La solution de la dernière chance apparaît alors : la fabrication marocaine d’un générique du sofosbuvir. Il est vrai que les laboratoires pharmaceutiques, pour produire, peuvent fabriquer sous licence, acheter la recette ou bien développer en propre. Dernière solution réalisable en l’espèce puisque Gilead n’a pas déposé de brevet au Maroc. « Je ne sais pas pourquoi. Le brevet doit être acheté pour chaque pays, c’est cher. Peut-être qu’ils se sont dit que ce n’était pas un marché intéressant », imagine une salariée de Pharma 5 qui revient sur l’épopée.

Puisque c’est là qu’apparaît un nouveau protagoniste : le laboratoire marocain Pharma 5, que le ministère a contacté. Si Myryam Lahlou Filali, vice-présidente du groupe, parle de partenariat public privé (PPP), il semble s’agir d’un abus de langage puisque la collaboration entre le ministère et l’entreprise ne s’inscrit pas dans la loi règlementant les PPP. Par exemple, aucun appel d’offres n’a été lancé. Mais pour la direction, aucun avantage ne leur a été réservé : « Nous sommes quasiment le seul laboratoire marocain capable de produire ce médicament et de relever le défi », explique la direction. Par ailleurs, le ministère n’a pas soutenu financièrement le laboratoire, mais l’a plutôt épaulé lors des différentes étapes du challenge.

Un dossier top secret

Parce qu’un véritable défi s’est alors présenté au laboratoire. Le but : créer un médicament strictement identique à l’américain, sans en connaître la formule magique. Première étape : se procurer le médicament à copier. Non seulement il est très cher, mais il n’est pas délivré facilement. « Nous nous sommes mobilisés sur trois continents. Nous avons déboursé entre trois et quatre millions de dirhams rien que pour récupérer le princeps », raconte Abdallah Lahlou Filali, PDG du groupe. Comment ont-ils fait ? Le laboratoire ne préfère pas « griller » ses sources. « Ce sont des partenaires européens qui nous ont donné le médicament », nous concède seulement une source au sein de l’entreprise.

Laboratoire de recherche de Pharma 5.
Laboratoire de recherche de Pharma 5. Crédit: Pharma5 J

Ensuite, il faut décortiquer le médicament pour en trouver la formule puis le procédé de mise en commun des composants, avant de passer à la prospection de matières premières… le tout dans la plus grande confidentialité. « Certains collaborateurs travaillaient sur le projet sans savoir de quel médicament il s’agissait », nous raconte Khadija Rihane, responsable recherche et développement. Yasmine Lahlou Filali, autre vice-présidente de Pharma 5, raconte même que « l’américain a tenté de faire pression sur les fournisseurs de matières premières donc nous avons du importer en secret. Les lots pilotes étaient fabriqués le week end à l’abri des regards, il fallait que personne ne se doute de la fabrication du SSB 400 », nom de code du projet qui a été gardé comme dénomination officielle du médicament pour sa commercialisation. Pharma 5 décide finalement de s’approvisionner auprès de trois fournisseurs, dont les noms restent secrets. Trois Indiens, d’après une source de l’entreprise, information démentie par la voie officielle.

La cellule développement du laboratoire pharmaceutique. Crédit : Pharma 5 J.
La cellule développement du laboratoire pharmaceutique. Crédit : Pharma 5 J.Crédit: Pharma 5

A la recherche de la formule magique

Dans les laboratoires de Pharma 5, les équipes se sont activées durant des mois. « Cela a duré un peu moins d’un an, d’habitude cela peut durer plusieurs années », nous explique Khadija Rihane. « Une année mais de jours ouvrables, week-end et jours fériés compris ! », ajoute une salariée. Il faut dire qu’à les croire, les chercheurs étaient motivés, remplis d’une certaine excitation à l’idée de travailler sur ce dossier top secret. « Contrairement aux génériqueurs, ici on fait tout, on ne peut pas appeler la maison mère pour avoir les réponses, donc c’est plus intéressant pour nous, on doit se frotter les méninges comme on dit », ajoute Khadija Rihane.

Concrètement, ils ont d’abord décomposé le médicament, une fois que la matière a été trouvée, ils ont essayé de le reconstituer. Le tout selon un travail par tâtonnement rythmé par les échanges entre les chimistes et les galénistes, chargés de matérialiser le mélange sous forme de gélule, des sortes de cuisiniers. Chaque prototype est ensuite soumis à une simulation in vitro (contrairement au princeps qui doit suivre des essais cliniques, très coûteux). Ainsi, une machine simule la température du corps humain, simule les mouvements de l’intestin… Une fois que le comprimé est enfin trouvé, faut-il encore qu’il se conserve. Alors que le princeps n’a pas de durée minimale, le générique doit strictement se conformer à la durée de conservation du médicament original. Les prototypes sont donc soumis à des simulations de temps pour vérifier leur stabilité. Toute les expériences ont été réalisées à très petites échelles, tellement la matière première coûte cher, environ 15 000 dollars le kilo.

Une fois la molécule reconstituée, il faut vérifier si elle est bien digérée par l'organisme. Une machine simule les conditions du corps humain.
Une fois la molécule reconstituée, il faut vérifier si elle est bien digérée par l’organisme. Une machine simule les conditions du corps humain. Crédit: Pharma5 J

Approvisionnement assuré, d’après le labo

Le 5 novembre, Pharma 5 reçoit l’autorisation de mise sur le marché, obtenu en seulement quelques mois, grâce aux pressions du ministère de la Santé. La commercialisation est prévue pour le 10 décembre. Le laboratoire ne souhaite pas communiquer sur le montant global de l’investissement. La recherche et développement représente 10 % du chiffres d’affaires de l’entreprise, qui a été de 900 millions de dirhams l’an dernier.

L’entreprise ne veut pas non plus avancer de chiffres quant aux bénéfices à réaliser. Le marché est mal connu puisqu’aucune étude de prévalence n’a encore été réalisée. Ainsi, impossible d’avoir une idée du nombre de patients potentiels intéressés par ce médicament (625 000 malades au Maroc d’après les estimations). Mais la direction le répète : elle veut absolument assurer l’approvisionnement et éviter toute rupture de stock. Aujourd’hui, Pharma 5 aurait assez de matière première pour tenir neuf à 12 mois, et 50 000 boites sont produites chaque jour. Pour le moment, l’objectif est de répondre à la demande marocaine mais la société n’exclue pas une exportation dans le reste du continent. D’ici un mois, l’entreprise devrait annoncer la création d’un générique en propre d’un autre médicament. Mais là encore, le secret plane. Il faut dire que le SSB400 ne suffit pas à guérir les malades, qui doivent y conjuguer deux autres médicaments.

Gilead contre-attaque ?

Le traitement proposé est commercialisé à 9 000 dirhams (3 000 dirhams la boite), bien loin des 800 000 dirhams de Gilead ou bien des près de 200 000 dirhams du traitement proposé jusqu’à aujourd’hui (mais moins efficace). Il sera compris dans la liste des médicaments remboursés par l’AMO et le Ramed.

De son côté, Gilead ne semble pas prêt à abandonner la partie. Il se dit dans les couloirs de Pharma 5 qu’une fois que le ministère ait donné son accord de principe au laboratoire marocain et ainsi ôté le doute sur les travaux en cours, l’entreprise américaine aurait tenté de déposer son brevet au Maroc, mais se serait heurté au ministère. Gilead serait même en train de demander une autorisation de mise sur le marché. Mais pour un médicament à quel prix ?

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