Ta vie en l'air. Liberté chérie

Par Fatym Layachi

Vendredi 13. Tu es à Paris, tu as joué au loto en faisant une cagnotte avec tes potes. Il est 21h, vous êtes au comptoir d’un bar où vous avez vos habitudes. Dans ce bar où vous vous êtes connus, étudiants pleins de rêves. Ici, à Paris, tu as fait tes études. Et puis, surtout, tu y as appris la vie. Tu y as découvert les amis, les amours et forcément les emmerdes aussi. Ce soir, vous matez un match de foot sur un écran. Apparemment, de drôles de bruits se seraient fait entendre aux abords du stade. Tu n’y prêtes pas attention. Vous ne vous inquiétez pas. Pourquoi s’inquiéter quand on se sent libre? Vous recommandez des verres. Jusqu’ici, tout va bien. Vous vous mettez à rêver. On ferait quoi de ces 13 millions à partager? Claire s’achèterait des dizaines de paires de Louboutin et des meubles design. Raja prendrait une année sabbatique pour faire le tour du monde. Tom aurait le temps de faire des films et s’installerait au Brésil.

Toi, tu te dis que tu aimerais bien t’acheter un appart à Paris parce que c’est fou ce que tu l’aimes cette ville. Les téléphones se mettent à sonner. Des alertes. Des tweets. Des copains inquiets. Ce n’est plus un rêve. C’est un cauchemar. Des attentats. Des morts. En plein Paris. Toi, cette ville tu l’aimes passionnément. Tu aimes ce que tu y trouves. Des concerts et des terrasses. Des librairies, des ponts et des expositions. Des pistes cyclables, des croissants et des cinémas. Tu aimes ta bande de potes qui viennent du Bénin, de Bordeaux, d’Arménie, de Bretagne, d’Algérie, de Suède, du Costa Rica ou d’Amiens. Il y en a qui croient et d’autres pas du tout, des très à gauche et d’autres un peu à droite, des qui aiment la bière et d’autres les doubles expresso. Il y en a qui bouffent casher et d’autres qui n’aiment pas les oignons. Des aristos et des fils de concierge. Des intolérants au gluten, des écrivains, des paresseux, des ambitieux. Un joyeux bordel quoi! Des gens très différents. Mais vous vous aimez. Pour ce que vous êtes, chacun avec sa singularité. Et s’il y a bien une chose que tu aimes plus que tout à Paris, c’est t’asseoir à une terrasse de café. Pour un thé, un coca light, un Chardonnay ou une vodka pamplemousse. Pour débriefer avec une copine la soirée de la veille. Pour regarder les passants aux looks improbables. Pour faire semblant d’être intelligent en lisant Le Monde. Pour voir tes potes mater les jolies filles en jupe dès les premiers rayons de soleil du printemps. Pour parler politique et ne pas être d’accord du tout. Pour s’engueuler avec tes copains en parlant trop fort. Pour écrire une lettre d’amour que tu n’enverras pas mais qui te remplit d’espoir. Parce que sur une terrasse parisienne, tu te dis que tout est possible. C’est la ville où le champ des possibles te semble infini. Et à bien y regarder, pour les horribles barbares c’est aussi ça.

Et c’est pour ça qu’ils ont tiré comme des monstres sur Paris. Parce que pour eux le champ des possibles doit être petit, obscur et affreux. Ils sont immondes et cruels, mais s’il faut leur reconnaître quelque chose c’est qu’ils connaissaient bien cette ville. Et ils y détestent ce que tout être humain épris de liberté y aime: la liberté justement. Tu peux y être ce que tu veux, qui tu veux. Tu peux aimer ce que tu veux et qui tu veux. Tu t’y habilles comme tu veux. Tu peux écouter ce que tu veux. Tu peux dire ce que tu veux. Tu peux être toi-même. Et ce soir, des gens comme toi ont vu leurs potes dans un bar, ont écouté un groupe de rock ou regardé un match et ils ont payé de leur vie le simple fait de vivre. Tués par des barbares qui croient être morts en héros mais qui ne sont morts qu’en lâches. Ils ne sont pas une armée. Un soldat c’est digne. Eux, ce sont des monstres. Mais en revanche, ils ne te laissent pas d’autre choix que d’être en guerre. En guerre contre l’horreur. Et chacun devient soldat, uniquement parce que vivant et voulant vivre. Résistant simplement et librement.