Zakaria Boualem en a eu une nouvelle confirmation cette semaine: il appartient à un peuple de patriotes. Nous aimons notre pays à la folie, c’est incontestable. Nous affichons des drapeaux sur Facebook avec enthousiasme, nous nous insurgeons contre tout film qui nuit à notre image et, à chaque fête, le « Sawt El Hassan » nous arrache quelques petites larmes.
Nos rappeurs le martèlent, nos divas le psalmodient: nous sommes fiers d’être Marocains. La grande Latifa Raafat, dans une récente production, est allée jusqu’à lancer ce refrain puissant: « Qui n’aime pas le Maroc n’est pas humain ». Chez nous, même Mcdonald’s est patriote, on voit plus de drapeaux que de sandwichs sur leur dernière campagne. Quel sacrifice émouvant!
A la vue de ce spectaculaire déferlement, Zakaria Boualem s’est souvenu d’une conversation qu’il avait eue avec un chauffeur de taxi. C’était en 2011 et l’homme avait customisé lourdement son véhicule aux couleurs nationales. Chaque centimètre carré disponible était couvert d’un drapeau, d’une photo royale ou d’un naâm au doustour. Seul un bout de pare-brise, pour des raisons de sécurité, avait pu échapper à la marée rouge et vert.
– Pourquoi autant de drapeaux dans votre taxi?
– C’est un truc du syndicat, ça… On pointe chaque matin chez la police et le syndicat nous file ces trucs, alors on les met, c’est tout.
– Ok, je comprends…
– Et puis, il paraît qu’elle est bien, la nouvelle Constitution, tu ne trouves pas?
– Je ne sais pas, je ne suis pas très fort en Constitution.
– Moi j’ai entendu des gens parler à la radio, ils ont un peu expliqué le truc, il paraît qu’elle est vraiment bien.
– Meziane, tu as voté oui alors?
– Non, je n’y suis pas allé, il ne faut pas exagérer, j’ai affiché leurs trucs, ce n’est déjà pas mal.
Zakaria Boualem avait été très perturbé par cette conversation. Il en avait conclu que la patriotisme s’arrêtait là où commençait l’effort, quels que soient sa nature, implication ou sacrifice. Il y a une grande différence entre les deux. Par exemple, pour préparer du khlie, la poule s’est impliquée en donnant des œufs. Mais le bœuf, lui, s’est sacrifié.
Il semble que, chez nous, on ne soit pas vraiment prêts à s’impliquer, encore moins à sacrifier quoi que ce soit. Tant que c’est facile, ça va, on est là, mais si ça devient sérieux, il n’y a plus personne. On est au stade oral, en fait. Dire qu’un film est scandaleux, oui, mais changer la réalité qu’il décrit, non. Expliquer sa fierté de posséder un passeport vert, sans problème, mais renoncer au second qu’on a obtenu à grande peine, impossible. Ce n’est pas incohérent, c’est juste notre parole qui s’est affranchie de nos actes.
On peut mettre un drapeau sur Facebook et postuler pour la loterie US. On peut expliquer à longueur de journée que nous sommes jaloux de notre indépendance et filer l’eau, l’électricité, la collecte des ordures et l’éducation de nos gosses aux pays européens.
Pourtant, il est évident que nous aimons notre pays. C’est la réciproque qui reste à démontrer. Sans verser dans le nihilisme, Dieu nous en préserve, il est difficile de déceler les indices qui tendent à prouver que le Marocain est important pour le Maroc. Zakaria Boualem s’apprêtait à poursuivre cette démonstration, il allait enchaîner sur le sujet de la fierté nationale, se demander si on pouvait être fier de quelque chose qui ne relève pas de sa responsabilité. Il allait disserter sur le patriotisme, sur la véritable valeur de ce sentiment et sur les terribles drames qu’il a engendrés. Mais il a arrêté net.
Maradona vient au Maroc pour l’anniversaire de la Marche verte. Boualem a le souffle coupé. Il prépare sa valise, il va rencontrer son idole. Il met un drapeau sur Facebook et prend aussitôt la route et chantonnant du rap patriotique.