Ta vie en l'air. J'hérite donc je suis

Par Fatym Layachi

Le vendredi c’est couscous. Du coup, le plus souvent, vendredi c’est aussi et surtout déjeuner en famille. C’est immanquablement l’occasion de commenter l’actualité, pétrie de certitudes et repue de semoule. Alors aujourd’hui, tu n’y échappes pas. Le débat du jour: l’héritage évidemment. Connaissant les contradictions limite schizophréniques de ta famille, tu sens que ça risque d’être épique. Tu ne seras pas déçue. C’est fou comme ce sujet est clivant tout de même! Toi, tu trouves ça ahurissant que ce soit le dernier bastion de la réduction de la femme au statut d’être inférieur. D’autant qu’il s’agit tout de même de ce qu’il y a de plus sacré et de plus symbolique: la transmission.

Face à ce qui vous revient de vos parents, tes consœurs à ovules et toi-même ne valez pas plus que la moitié d’un homme. Ça te révolte. Le mari de ta tante explique sagement que, par décence, son frère et lui avaient décidé de partager équitablement avec leurs sœurs au moment du décès de leur père. Pour eux, c’était une question de décence. Tout simplement. Ils trouvaient ça normal. D’autant que le défunt avait déjà défavorisé les filles de son vivant, offrant uniquement aux garçons des parts de son usine de plastique. Le patriarcat avait la peau dure, et l’a toujours d’ailleurs. La primogéniture masculine aussi. À bien y regarder, tu n’en connais pas beaucoup des capitaines d’industrie qui rêvent de passer le flambeau à leurs filles… Toi, le partage équitable, tu trouves ça normal. Parce que c’est équitable justement! Il ne s’agit ni de modernisme ni même de féminisme. C’est juste de bon sens dont il est question. Mais c’est là que ton cousin, dont le mode de vie n’a pourtant rien d’archaïque, la bouche encore pleine de navet, décide de s’insurger. Il trouve effarant que l’on puisse envisager ne serait-ce que débattre de l’éventualité d’une modification de la loi. Et pourquoi? Il ne trouve rien de mieux à répondre que «parce que c’est comme ça». Ce garçon est décidément toujours très surprenant de contradictions et d’excès de zèle. Ton cousin, il trouverait aberrant que sa femme ne travaille pas. Mais il trouve normal d’hériter deux fois plus. Pourquoi? Parce qu’il a une quéquette. Un peu léger comme argument… Tu as très envie de lui demander ce qu’il a fait pour tant de biens. Il s’est donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, c’est un homme assez ordinaire. Tu es à peu près persuadée qu’il ne saisira pas la référence à Beaumarchais. En gros, il est d’accord pour qu’une femme travaille et nourrisse la famille, mais de là à partager un héritage, faut pas déconner! Monsieur a des principes! Des principes qu’il comprend et accommode comme il veut. Et on aura beau t’expliquer toutes les leçons morales religieuses, ou tu ne sais quoi d’autre, ta logique ne suit pas.

Tu ne comprends pas pourquoi ton oncle, à qui tu n’as pas parlé depuis le mariage d’une de tes cousines il y a quatre ans et qui vit à exactement 3647 kilomètres de toi et avec qui tu n’es même pas amie sur Facebook, hériterait de tes parents avant toi. Pourquoi? Parce que tu es fille unique et qu’il faudrait donc faire appel au mâle le plus proche. Certes l’héritage a été établi par le Saint Coran, mais il y avait un contexte. Le Coran n’était pas discriminatoire à l’égard des femmes. Au contraire. Il leur accordait pour la première fois dans l’histoire du monothéisme le droit d’hériter. Alors, si au lieu d’ânonner des versets sans en comprendre le sens, ce serait bien que ton cousin, et avec lui un bon paquet de tes compatriotes, essayent de comprendre l’essence du texte. Et éventuellement d’accepter d’en discuter…