On ne choisit pas sa famille. C’est bien ça la fameuse phrase que tu as entendue des dizaines de fois et que tu as aussi prononcée dans un soupir à plusieurs reprises? Eh bien non, pour sûr, on ne la choisit pas… Et pourtant tu l’aimes, ta famille. Et puis surtout tu lui ressembles.
Tu ne sais pas si c’est la génétique, le mimétisme ou tout autre concept scientifique ou social, mais la ressemblance est indéniable. Et parfois un peu angoissante aussi. Ta mère c’est toi dans quelques années. Toi, le poids des années et des chagrins en plus. Toi, en pire donc. Ta mère a très souvent de folles envies d’acheter. Tu tiens ça d’elle sans doute… Ta mère aime sentir qu’elle fait partie d’un tout.
Ce n’est pas une pionnière. Elle, elle suit les modes de sacs à main, les tendances déco et les rumeurs. Elle a été en Grèce quand il fallait et a cessé de porter de l’or jaune quand ça ne se faisait plus. Même en matière de bouffe, elle suit la mode. Elle faisait de grands buffets quand il était de bon ton de faire de grands buffets. Elle s’est mise au quinoa quand tout le monde s’est mis au quinoa. Elle a acheté des cupcakes par dizaines avant de se rendre compte que ce n’était pas vraiment bon un cupcake.
Elle adorerait pouvoir se passer du gluten, mais elle aime trop tremper son pain dans la sauce. En ce moment, elle se passionne pour les verrines. Elle trouve ça moderne les verrines. Et light aussi. Elle a l’impression que les calories se dissipent sous prétexte que les verrines sont petites et mignonnes.
Elle maîtrise son calendrier des tendances à défaut de maîtriser son régime. Et en ce moment, elle veut acheter de l’art. Elle a entendu dire que c’était un excellent placement. Alors elle aussi veut placer, « parce qu’on ne sait jamais ». Et puis, surtout, elle veut se placer. Alors, aujourd’hui, elle te demande de l’accompagner à un vernissage. Et forcément tu acceptes. Saluer des gens et sourire, le tout en déambulant un verre à la main, tu sais faire.
Ta mère ne connaît bien évidemment pas grand-chose aux mouvements picturaux. Et de toute façon, en ce moment, elle sait laissé convaincre, c’est de la photo qu’il faut acheter. La photo c’est bien. C’est moderne. Ça coûte indécemment cher. Ça lui correspond très bien. C’est un peu flou aussi. C’est parfait. Alors vous êtes arrivées à ce vernissage. Et forcément vous avez croisé des gens que vous connaissez. Et forcément, vous croisez sa copine toujours très à la mode. Et ce soir, elle porte un perfecto que même toi tu n’oserais pas porter.
Toi, il y a déjà trois ans que tu as rangé au placard, non sans douleur, tout ce rose, ces jeans sans forme, ces tee-shirts à message et autres chaussures d’ado, histoire de ne pas faire déjà vieille jeune. Parce que, sérieusement, à part Patti Smith, qui peut se permettre un perfecto vert émeraude déchiré aux coudes? Et pourtant, bravant le ridicule, elle a osé! Elle n’a pas de bouffées de chaleur, là-dedans. Bien sûr que c’est génial d’être bien dans sa peau et tout ce blabla… Mais tout de même! Et puis, à bien la regarder, tu te demandes à qui elle veut plaire, et à qui elle plaît? Le temps qui passe est cruel pour les femmes.
C’est injuste, Mick Jagger pouvait s’égosiller à chanter Time is on my side, c’est un homme lui, et surtout, il n’est plus avec Marianne Faithfull. Elle vieillit sûrement seule pendant que lui s’éclate sur scène. Tu la trouves pathétique de jeunisme la copine de ta mère. Aujourd’hui elle est grand-mère et ne veut surtout pas que ça se voie.
Longtemps, tu t’es couchée tard. Et puis ce matin, en frottant le mascara qui restait sous tes yeux, tu t’es rendu compte que ce n’était pas du mascara. Mais tes cernes. Toi aussi tu vieillis. Toi aussi ça t’angoisse. Toi aussi tu t’accrocheras à ton jean fatigué et à ta frange d’adolescente. Et peut-être qu’un jour ta fille se foutra tendrement de ta gueule. Ce serait donc ça la vie.