Depuis la rentrée, il s’en est passé des choses. Tu as profité des derniers rayons de soleil, tu as repris le boulot, tu as repéré les nouvelles collections de toutes tes boutiques préférées, tu t’es mise aux Pilates. Et puis un jour, tu as découvert le catalogue Ikea dans ta boîte aux lettres. Tu as trouvé ça plutôt très cool. Tu as l’impression que la vie est tellement simple et bien rangée dans un catalogue Ikea. Alors tu l’as feuilleté. Du coup, tu as eu très envie de t’acheter une table vert pomme, un plaid gris qui avait l’air tout doux et de grands sachets de bougies. Le lendemain, alors que tu attendais que ton vernis à ongles sèche, tu scrollais ton écran d’iPhone à la recherche d’un quelconque tberguig sur Facebook quand soudain une alerte t’annonçait que Ikea n’ouvrira pas. Une sombre histoire de certificat de conformité que tu ne commenteras pas tellement tu n’as même pas fait semblant d’y croire.
Juste après, les mails de condensé d’infos se sont succédé: il ne s’agit plus d’un problème de tuyauterie ou de sécurité incendie dans un grand hangar jaune et bleu, mais bien d’une crise diplomatique. Le pays des Krisprolls aurait des intentions peu louables à l’égard du royaume. Plus précisément, il remettrait en cause la marocanité du Sahara. C’est grave. C’est inquiétant. Le Maroc est intraitable et c’est une excellente chose. Et, bien évidemment, l’arme économique fait et doit faire partie de l’arsenal diplomatique. Le fond est indiscutable, c’est la forme qui te laisse un peu pantoise. Une manifestation un peu absurde et totalement insolite, des déclarations qui se contredisent parfois, une ambassade vide et pas mal de cacophonie… comment un problème aussi grave peut-il donner l’impression que sa gestion est un tantinet artisanale? Toi, la marocanité du Sahara tu ne la discutes pas. C’est factuel, c’est incontestable. C’est viscéral aussi. C’est le ciment de la nation. C’est l’histoire d’un pays et de toutes ses familles. C’est une chanson qui te fait vibrer d’émotions. Ce sont des images qui te prennent aux tripes. C’est une part de ton identité tant nationale que personnelle. Et hier soir, tu te retrouves dans un dîner de boulot entourée uniquement d’étrangers. Des gens venus d’un peu partout dans le monde. Après avoir trinqué dans toutes les langues et tenté d’expliquer le concept de la pastilla en anglais, l’actualité reprend le dessus. Et, forcément, le Ikeagate arrive sur la table.
Et assez vite le mot est prononcé: l’expression « Sahara occidental » sort de la bouche de l’un des convives. Force est de constater que les chimériques militants sont très forts en com. Ils savent comment vendre leur chimérique image et le font plutôt bien. Alors, tu te retrouves au milieu de ces touristes auxquels, bien entendu, tu ne peux reprocher le manque de connaissances historiques ou leur crédulité face à du marketing certes totalement faux et mensonger, mais plutôt bien emballé. Alors, tu t’enflammes, tu veux rétablir la vérité, tu évoques la Marche Verte avec passion. Et tu as très envie de leur montrer à quel point c’est beau et c’est vrai. Du coup, tu tapes sur Google « Green March ». Tu t’attends à trouver Internet inondé d’images, d’articles, de vidéos, d’interviews qui expliquent la position marocaine, qui défendent l’intégrité du territoire. Mais en fait tu hallucines: il n’y a vraiment pas grand-chose! Et pourtant, en 2015, ça devrait être la base… Alors quand ce matin tu lis qu’un ministre dit qu’il faut préserver l’aura de la diplomatie marocaine, tu ne peux qu’être d’accord avec lui. Mais tu as surtout envie de lui rappeler qu’on est en 2015 et que la diplomatie ne se joue pas uniquement entre les murs des salons feutrés d’une ambassade autour d’un plateau de cornes de gazelle, mais aussi avec des images sur la Toile. Parce que la bataille de l’opinion c’est ici qu’elle se gagnera. Et ce qui te rend furieuse et frustrée, c’est que la position nationale est juste et légitime, alors il suffirait d’un peu de jugeote, d’une certaine dose de bon sens et de quelques grammes de créativité pour arriver à convaincre le plus grand nombre.