Edito. L’égalité en héritage

Par Abdellah Tourabi

A l’origine, il y a une histoire, un événement et un contexte, comme pour la plupart des versets du Coran. Deux femmes, une mère et sa fille, sont venues voir le prophète Mohammed pour implorer son aide et son intervention.

La mère explique au prophète que son mari est mort en laissant un héritage, et que, conformément aux traditions, c’est le frère de l’époux qui doit tout récupérer. Privées de tout bien appartenant au défunt, les deux femmes n’avaient plus que leurs larmes pour pleurer et la générosité probable de leur famille pour vivre. Le prophète réfléchit un peu, rassure les deux femmes et leur demande d’attendre une intervention divine.

Le lendemain, un nouveau verset est révélé, qui donne droit aux femmes à l’héritage. Certes, elles n’accèdent qu’à la moitié de ce qui revient aux hommes, mais c’était déjà une révolution sociale et culturelle. Dans une société tribale où les richesses s’acquièrent par la force, les armes et les guerres, les femmes étaient exclues du système de succession. Seul l’homme qui se bat, risque sa vie au combat, pouvait y avoir droit. Il y a 14 siècles, l’acte du prophète de l’islam était audacieux et rétablissait la femme dans une partie de ses droits.

Cette histoire est nécessaire à rappeler au moment où le débat sur l’égalité en matière d’héritage refait surface. Dans un monde qui a changé, où les femmes font des études, travaillent, entretiennent des familles, accèdent à des fonctions supérieures, dirigent des entreprises et des universités, il est aberrant d’entendre encore parler de Qiwama (tutelle) masculine sur les femmes pour justifier cette injustice. Dans un univers où le dirigeant le plus puissant d’Europe est une femme, que le futur président des Etats-Unis sera probablement une femme, et que le prix Nobel de littérature de cette année est également une femme, il est absurde de se prévaloir de son statut d’homme pour prétendre à une quelconque supériorité. Les temps ont changé, les mœurs ont évolué et les conditions sociales ne sont plus les mêmes qu’il y a 1400 ans. Une femme est aujourd’hui l’égale de l’homme et sa partenaire dans la vie. Elle n’est ni sa subordonnée ni son objet. Aucun droit ni disposition ne peuvent consacrer un rapport d’infériorité.

On avance toujours que cette inégalité est une injonction divine, consacrée par un texte coranique qu’il faut respecter. Cet argument est faux et critiquable. Il ne prend pas en considération le contexte social et culturel de la révélation coranique et bloque totalement les voies de l’interprétation et de l’ijtihad. Il n’est ni blasphématoire ni insultant de dire que certains versets sont dépassés par l’évolution de notre monde, car leur contexte a changé ou disparu. Qui d’entre nous peut demander le rétablissement de l’esclavage car il est mentionné dans le Coran? Qui peut exiger de couper les mains et les pieds des hors-la-loi et les crucifier dans l’espace public comme le précise un verset? Et quel esprit peut encore demander de lapider publiquement une femme ou un homme pour adultère? De nos jours, il n’y a que l’Arabie Saoudite et Daech qui sont pour la mise en pratique stricte et littérale de ces versets. Le prophète Mohammed a entamé une révolution pour donner une dignité et des droits aux femmes. C’est l’esprit de cette révolution qu’il faut accomplir.