Dans une vidéo diffusée par nos confrères de Lakome, on voit des citoyens marocains participant à une manifestation pour dénoncer les choix de la Suède sur la question du Sahara. À la fin de la vidéo, on hésite entre le rire et la désolation, la dérision ou la consternation. Les gens interviewés, jeunes et vieux, sont incapables d’expliquer clairement les raisons de leur présence ni de préciser ce qu’ils reprochent au royaume scandinave. Le slogan “Le Sahara nous appartient” est brandi comme seul et unique argument. Personne ne conteste la sincérité des sentiments de ces manifestants, ni leur patriotisme. Néanmoins, il est archaïque et aberrant, au temps de YouTube et des réseaux sociaux, de continuer à organiser ce genre de manifestations, qui couvrent de grotesque et de ridicule notre cause nationale. On fournit aux adversaires, avec des initiatives pareilles, le bâton qui se retourne inévitablement contre nous. Mais dans cette vidéo, on sent un autre malaise, plus profond et plus amer : le peu de connaissance des Marocains sur le conflit au Sahara.
Pour des générations de nos concitoyens, et depuis la Marche verte, le Sahara occidental est un territoire marocain. Il est rare de trouver quelqu’un qui soutienne le contraire. Sur cette question, l’unanimité est de mise. La cause est supposée être celle “d’un peuple et d’une nation” selon la formulation officielle. Sauf que la gestion de cette cause demeure, et depuis toujours, le monopole de l’État et de ses appareils. Le peuple, les partis politiques et la société civile en sont exclus. L’union nationale sacrée se transforme en motif de refoulement, de censure et d’absence d’échanges. Tout débat objectif et décomplexé autour du dossier est vu de travers et entouré de soupçon. La presse déploie des trésors d’habilité rhétorique pour en parler, et même la désignation du nom de l’adversaire devient problématique. Les partis ne sont convoqués qu’en temps de crise et d’incidents pour être briefés. Ils sortent de ces rencontres, le petit doigt sur la couture, pour réciter la version officielle. Sous Hassan II, le dossier était détenu par un cercle restreint de personnes, et toute voix qui exprimait un avis différent était bâillonnée et interdite. L’épisode de Abderrahim Bouabid, le leader socialiste, emprisonné pour avoir tenu tête à Hassan II sur cette question, est assez connu pour être rappelé. Sauf que le monde a changé et le Maroc aussi. Les Marocains méritent de connaître l’évolution réelle du dossier. Ils doivent découvrir sur les médias publics des débats contradictoires qui leur permettent de se faire un avis éclairé sur leur cause nationale. Ils ne sont ni mineurs ni dénués de discernement pour leur imposer un seul discours. Les partis et les acteurs associatifs, crédibles et respectés, ne peuvent plus être perçus comme quantité négligeable. Il leur appartient de relayer la parole du pays à l’étranger et entrer en contact avec les voix dissidentes au Sahara. L’unanimité autour d’une cause, oui, la diversification des options pour la servir, c’est encore mieux.