Ta vie en l'air. Tous coupables

Par Fatym Layachi

La semaine dernière, tu étais encore en vacances. C’était l’Aïd. Et pour toi, toute fête religieuse, occasion ou autre évènement du calendrier, est un prétexte idéal pour te sentir en vacances. L’Aïd était un jeudi. Parfait donc pour prolonger le week-end, mais aussi pour se mettre en pente très douce dès le début de la semaine. C’est qu’il fallait bien que tu le prépares, ce Aïd. Bien entendu, tu n’as rien préparé au sens propre du terme. Tu n’as pas galéré pour trouver la somme nécessaire à l’achat du mouton. Tu n’as pas galéré non plus pour aller acheter ce mouton, tu n’as pas non plus loué une Honda ou tout autre engin scabreux pour transporter ce fameux ovin. Et bien entendu, tu ne l’as pas égorgé de tes blanches mains et encore moins dépecé. Non, pour toutes ces activités tu as fait comme tu fais bien souvent : tu as délégué. Tu as payé pour ça.

Toi, tu t’es gavée de boulfaf en famille. Puis tu as fait une sieste pour digérer, pendant que la cuisine se faisait nettoyer. Et tu oses parler de sacrifice… Mais bon, tu n’es pas à une contradiction près. Le réveil de ta sieste en ce jour de fête a été particulièrement violent. Des centaines de pèlerins sont en train de mourir. Tu regardes avec effroi ce drame humain. Les images sont insoutenables. Le voyeurisme banalisé du 21e siècle nous pousse à regarder la mort sur un mur Facebook et à la commenter! Et dans les commentaires tu en lis des âneries. Des trucs du genre : « Ils sont morts en martyrs. Ils ont l’air serein sur les photos »…

Mais non! Ils ne sont pas martyrs ou alors martyrs de l’incompétence des hommes, et surtout du manque de considération d’un système immonde qui n’accorde pas une grande valeur à la vie de pauvres gens. Les heures et les jours passent, les images horribles continuent de défiler. Une enquête pour homicide involontaire a été ouverte? Absolument pas! Une enquête aura bien lieu, mais, visiblement, cet accident serait surtout dû au « manque de discipline des pèlerins». Des dirigeants osent donc sérieusement pointer du doigt les pèlerins. C’est un peu comme s’ils disaient aux familles des victimes : « Ils l’ont bien cherché! ». Comment osent-ils? Parce que, non, ce n’est pas leur agitation qui les a tués. Ils étaient plus de dix au mètre carré. C’est scientifiquement dangereux. Ça devrait être illégal.

Les organisateurs devraient être tenus pour responsables d’avoir laissé plus de deux millions de personnes se déplacer dans un espace prévu pour dix fois moins. Mais ces organisateurs-là, il n’est pas de bon ton de les critiquer. On ne mord pas la main qui vous nourrit, c’est bien ça? Et donc, un pays qui gère les Lieux saints traite les pèlerins comme du bétail en toute impunité.

Ce même pays qui s’apprête à crucifier un jeune homme sur la place publique. Toi, tu ne sais même pas de quoi ce jeune homme est accusé, tu ne sais absolument pas s’il est coupable ou innocent. Tu ne vas sans doute pas le considérer comme un héros de quoi que ce soit. La seule chose dont tu es sûre, c’est que crucifier un homme en 2015, quand bien même il serait coupable, c’est un acte barbare, cruel et immonde. Et révoltant. Et quand tu apprends que ce même pays vient d’être nommé à la tête d’une vague commission onusienne pour les droits de l’homme, tu as très envie de rire et de pleurer. Et là encore, il ne faudrait rien dire. Ça aussi ce serait sacré?

D’ailleurs, pourquoi c’est ce pays en particulier qui gère les lieux les plus saints de l’islam? A bien y réfléchir, quelle est sa légitimité? Peut-être que ses dirigeants devraient se contenter d’être les rois du pétrole. Parce que, c’est sûr, du pétrole, il y a en. Pour les idées, il faudra repasser! Les pétrodollars convertibles rapportent bien plus que la morale, à bien y regarder.