Zakaria Boualem à Guercif pour l'Aïd

Par Réda Allali

Bon mouton les amis, Zakaria Boualem vous souhaite une fête joyeuse, une année glorieuse, pleine de joie et d’harmonie, et aussi un peu de chance pour échapper aux zones un peu louches dont regorge notre quotidien. A défaut, de la patience, ça marche aussi. Il n’y a rien de spécial à raconter sur cette fête, puisque les étranges débordements auxquels elle donne lieu ont déjà été abondamment décrits dans ces mêmes colonnes.

On a donc eu droit, comme d’habitude, à l’irruption burlesque du règne animal au milieu de nos villes, avec son cortège d’incongruité, aux offres cybernétiques de moutons en ligne et à quelques hôtels de luxe qui ont produit une offre étonnante, où détente et mouton se sont retrouvés mêlés dans un improbable scénario. Voici un extrait du texte de ladite offre : « Faites livrer voter Dhia à l’hôtel, nos bouchers se chargeront du reste, nous vous le garderons dans notre chambre froide jusqu’à votre départ. ( …) Notre cérémonie de Dhia, après Sa Majesté, en présence de nos groupes folkloriques, capture d’images autorisée ». Précisons que ce texte est placé en dessous d’une improbable infographie où un mouton est judicieusement inséré aux côtés de quelques toboggans et d’une belle piscine.

Zakaria Boualem n’a rien à ajouter, son boulot devient de plus en plus compliqué dans ce pays où tout le monde a des ambitions comiques. Voilà pour le mouton et son épopée chez nous.

Mais au moment où vous lirez ces lignes, il est fort probable qu’il ne soit plus qu’un vague souvenir gastrique, il faut donc penser à vous distraire un peu. C’est pourquoi, sans le moindre effort de transition, notre héros voudrait vous raconter l’histoire de deux familles de la région de Guercif. Deux familles rivales, qui s’affrontent depuis des décennies pour une histoire incompréhensible de propriété, de terrain, d’héritage et de manque de respect. Une certaine culture locale de la susceptibilité avait donné à cet affrontement des dimensions shakespeariennes, que le reste de la population de la ville suivait d’un œil las, en le commentant au café entre deux gémissements sur le sort lamentable du Hassania de Guercif.

L’histoire commence au moment où ces deux familles, enfin, vont être entendues par le juge. Elles se présentent donc au tribunal, espérant trouver un début de solution à leur différend. Il faut préciser qu’elles ne s’adressent plus la parole, et sans une législation sur les armes assez stricte, cette affaire aurait pu se régler à coups de fusil.

Mais voilà, les chefs de famille découvrent en pénétrant dans l’enceinte sacrée de la justice que le juge est une juge. Le choc est tellurique. Ils vont être jugés par une femme, qui va leur poser des questions et ils seront sommés d’y répondre. Elle a du pouvoir, c’est une humiliation insupportable. Ils décident donc de retirer leurs plaintes respectives et vont au café régler cette affaire à l’amiable. Et surtout entre hommes. L’immense problème qu’ils traînaient depuis des décennies avait soudain l’air bien moins grave que celui qui venait de se dresser devant eux au tribunal.

On ignore ce qui se produirait si ces braves gens découvraient que l’homme le plus puissant d’Europe est une femme. Ils l’accepteraient sans doute, parce qu’en Europe, ça passe. Ils trouveraient ça normal, quoique un peu décadent. Mais ils pourraient encenser l’Allemagne dans les discussions suivantes, en louant le sérieux de leur production, et là, soudain, la décadence aurait disparu de l’ordre du jour.

Voilà, c’était une petite histoire drôle que le Boualem voulait vous raconter pour vous aider à digérer la tête bouillie. Elle pose quelques questions, dont voici la principale : quand est-ce que nous allons extirper collectivement nos cerveaux du sous-développement? En l’absence d’une réponse claire, ou même d’une méthodologie permettant d’approcher correctement la question, Zakaria Boualem retourne à son mouton, et merci.