Zakaria Boualem est un peu ému de vous annoncer que le Maroc a produit un nouveau héros. En ces temps un peu chargés en énergie négative, voilà une bonne nouvelle qu’il convient de célébrer avec enthousiasme, du moins celui que ce sévère ramadan n’a pas encore entamé. Un adolescent du nom de Simo Adala vient de procéder à une entrée glorieuse dans la galerie des Marocains les plus brillants, juste à côté de Allal El Kadous que personne n’a oublié. Muni d’une simple connexion Internet et d’un compte Facebook, ce gamin a réussi à persuader une Américaine du nom de Rebecca de s’enfuir de son abominable Connecticut à l’insu de ses parents pour le rejoindre dans le royaume enchanté. N’est-ce pas merveilleux ? Il a été aussitôt salué comme il se doit par nos réseaux sociaux, qui savent reconnaître la performance et l’efficacité lorsqu’elles se présentent avec une telle autorité sous leurs yeux. Cette affaire a passionné Zakaria Boualem, il a même trouvé ça beau. Enfin, les Marocains, unis, qui applaudissent un des leurs, un gamin, qui lui passent la main dans les cheveux virtuellement, en lui disant bien joué, ça fait du bien. Surtout lorsqu’on vient de passer trois mois à s’écharper sur un film, des fesses, des torses, des jupes et des bisous en dehors des akhla9 3amma. Normalement, c’est le foot qui joue ce rôle, celui de nous rassembler de temps en temps, mais là, ne me demandez pas pourquoi, ce n’est pas possible. C’est donc Simo Adala qui a rempli le rôle dévolu autrefois à Bassir. Si on avait un minimum d’industrie culturelle, cette histoire aurait déjà été un film à grand budget, et le Simo aurait publié l’intégralité de ses conversations avec Rebecca, une sorte de master class de cyberdrague. Mais nous n’avons pas d’industrie culturelle, ne me demandez pas pourquoi. Revenons au sujet. Il y a un mot qui résume le geste technique réalisé avec brio par Simo. C’est un mot qui a l’air d’être français, mais qui a basculé depuis années dans notre patrimoine populaire. SAUVER. En créant des liens affectifs avec la noble titulaire d’un passeport bleu ou rouge, Simo est en passe de se sauver. Dans tous les sens du terme. Ce qui est un peu vexant, dans cette affaire, c’est que les Marocains n’ont plus aucun complexe à poser comme une évidence que le salut est dans la fuite. Riches ou pauvres, jeunes ou vieux, citadins ou campagnards, ils disent tous la même chose, à savoir qu’on se sent mieux avec un passeport qui ne soit pas vert dans sa poche. Zakaria Boualem se souvient d’un temps où l’immigration était un peu perçue comme une trahison. Un choix égoïste, un mal qu’on faisait à ses parents, un danger qu’on faisait courir à sa foi. Aujourd’hui, il semble que tout le monde ait compris qu’il faut mettre les voiles à vive allure. Il faut le faire tout en louant les qualités du royaume enchanté, c’est important de le préciser. Il est d’ailleurs possible de continuer à chanter les louanges des doustours successifs de loin, la technologie permet ce genre de chose, al hamdoulillah. C’est déstabilisant le spectacle d’un peuple dont le plus grand projet collectif consiste à déménager tout en affirmant chaque jour sa fierté d’habiter cette maison. Ce n’est pas grave, on manque suffisamment de cohérence en temps normal pour ne pas se poser des exigences insensées en plein ramadan. Revenons à notre héros.
Simo Adala, alias la justice, nous a montré la voie. Il a donné un sens à l’outil de Zuckerberg, boosté le moral de la nation, porté haut l’étendard de notre virilité, rendu hommage à notre charme et à notre intelligence. On n’ose pas imaginer les réactions s’il s’était appelé Yasmine. Si elle avait séduit un Philibert quelconque, si elle l’avait convaincu d’abandonner sa famille dans le Wyoming pour la rejoindre. On me signale à l’instant que ce genre de choses arrive tous les jours, qu’il y a même des agences pour les organiser. Ah bon! Étonnamment, les Marocains sont moins fiers de leurs concitoyennes, ça doit être une des limites de l’égalité des sexes. Bon, tout cela n’est pas très grave, parce que la harira attend, et l’Aïd aussi, juste après. Bonne fête les amis, nous pouvons être fiers de nous.