Ça y est, tu t’apprêtes à démarrer ton été. Tu vas t’adonner avec délice à ces journées à la plage et à ces soirées en terrasse. Mais avant tout, il est urgent d’envisager un régime express. Eh oui, de manière aussi paradoxale qu’inévitable, tu prends du poids quand tu jeûnes! La chebbakia, la harira et autres délices ont eu raison de tes hanches. Tu te poses une inévitable question : vas-tu rentrer dans tes maillots en colorés et tes petits shorts en jean? C’est que tu as été tellement à l’aise dans tes djellabas et gandouras que tu ne t’es même pas rendu compte que tu avais épaissi doucement, mais sûrement. Parce que, comme chaque année, c’est pendant ce mois de privation que la consommation de bouffe augmente. Ramadan, autour de toi, ressemble d’ailleurs à une période fastueuse pendant laquelle les maîtresses de maison jouent à celle qui garnira le plus sa table. Madame ta mère, comme tous les ans, a beaucoup reçu. Et là, elle est épuisée. Elle se plaignait toute la journée, tous les jours, et elle se goinfrait toute la nuit, toutes les nuits. Du coup, elle se dit qu’elle a vraiment besoin d’un séjour en thalasso !
C’est un comble tout de même de finir un mois qui est censé te purifier avec un excès de cholestérol. Mais dans ta famille, vous n’êtes pas à une bizarrerie près. Ta tante et son mari, eux, sont passés maîtres dans l’art de la fourberie. Elle a fait semblant de jeûner, lui a fait semblant de travailler. Elle se préparait des plateaux en cachette. Mais en cachette de qui au juste? Tu as eu très envie de lui rappeler que sa femme de ménage n’est pas totalement stupide et que Dieu quant à lui est totalement omniscient, mais bon, tu n’as rien dit. Tu t’es contentée d’apprécier son sellou et son jus de pastèques plusieurs fois par semaine. Tes potes, de leur côté, jouaient au poker toute la nuit. Ils ont remplacé la vodka par le shit et n’ont visiblement aucun problème avec ça. L’un d’entre eux passait ses soirées avec son chapelet à la main, les yeux rivés sur le flop. La bouffe était servie en continu par deux pauvres filles qui trimaient sans avoir le droit de plaindre et qui, le lendemain, contrairement à tes potes et toi, ne dormaient pas toute la journée. Tu as aussi eu droit aux grandes résolutions mystiques de ta cousine fraîchement divorcée. Elle est absolument certaine qu’avec l’aide de Dieu, elle va être sur le droit chemin. Sachant que, pour elle, le seul chemin qui soit droit est celui qui la mène vers une jolie maison où un mari généreux l’installera. Du coup, elle mélange drague et sunna à chacun des ftours où elle est invitée de manière pour le moins acrobatique. Son précédent mari était volage. Le prochain sera pieux. Elle l’a décidé. A la regarder battre des cils en rêvant de diamants, tu te demandes un peu comment elle définit la piété.
Mais bon, la religion ça relève de l’intime. N’est-ce pas? Si seulement…Parce qu’autour de toi, ce n’est pas vraiment ça. C’est même plutôt le contraire. Certains de tes cousins ont passé tout le mois à essayer de se montrer plus dévots que le voisin. Ils n’ont pas raté une occasion de verbaliser à la cantonade le fait qu’ils jeûnent. Ils ont passé le mois à exhiber leur tapis de prière. Ils se sont aussi pris pour des moralisateurs de salon, mélangeant quelques bribes de hadiths, une touche de tradition, une bonne dose d’ignorance, le tout enveloppé dans pas mal de confusion. Mais il faut croire que pour eux, seule la forme importe. Se consacrer à la méditation? Tenter de trouver une once de sérénité? Ils n’ont pas eu le temps. Ils avaient plus à cœur de montrer leur religiosité. Et s’il y a bien une raison pour laquelle tu es contente que ce mois touche à sa fin, c’est que tu commences à être sacrément saoulée par ces concours de « ma foi est plus grande que la tienne ». Trêve de tartufferie et retour à une vie et hypocrisie ordinaires.