Voici le mois du ramadan qui touche à sa fin. Mois sacré où coexistent tous les excès et les paradoxes. On s’abstient pendant de longues heures de manger et de boire et, immédiatement après le coucher du soleil, on engloutit, en quelques minutes, des fournées de plats. Déboussolés, nos organismes se retrouvent submergés par un déluge de calories et de glucides. On jeûne pour sentir le dénuement et la fragilité des pauvres et des nécessiteux, mais on dépense comme des nababs pour garnir nos tables. On observe cette obligation religieuse pour purifier l’âme, dompter les pulsions et vivre quatre semaines de spiritualité, mais c’est pendant ce mois que l’on remarque les pires signes d’incivilité et de violence dans les rues. Le mot « tramdine », qui signifie l’humeur irritée et à fleur de peau, qui règne pendant ce mois, résume tout.
Ces contradictions entre la règle et la pratique, entre l’énoncé religieux et sa mise en application et entre les prétentions et les faits, sont un marqueur des rapports à l’islam au Maroc et qui s’exacerbent pendant le ramadan. Des contradictions qui frôlent la schizophrénie. C’est ainsi que tous les sondages et études démontrent la place de la religion dans la société marocaine, considérée comme la source principale de valeurs, de conduite sociale et d’éthos personnel. Mais en même temps, cette forte revendication des principes religieux, comme l’honnêteté ou le refus de l’injustice, ne se traduit pas sur le plan des actes et des valeurs. Le Maroc figure toujours en queue des classements mondiaux de la corruption, de la justice ou de l’efficacité des services publics. « Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais » semble être la règle la plus respectée dans notre société.
Le ramadan est aussi ce moment de l’irruption totale de la piété dans l’espace public. L’un des aspects positifs de cette irruption est la communion collective, le climat de spiritualité qui enveloppe le pays et le renforcement du lien familial et social, antidote du poison de l’individualisme qui mine d’autres sociétés. Mais sa contrepartie, sombre et menaçante, réside dans l’intrusion dans les choix intimes des individus. Chaque citoyen peut se transformer en prédicateur et policier des mœurs pendant un mois. L’absurde et archaïque article 222 du Code pénal, qui punit les musulmans qui mangent publiquement en plein ramadan, consacre juridiquement cette intrusion. Une contradiction, encore une, avec l’essence même de la dévotion, rapport vertical et direct entre le croyant et son créateur, et avec l’esprit profond du jeûne. Ce dernier, dans toutes les religions, est un exercice spirituel et individuel pour devenir meilleur, sans prêter attention aux actes et faits des autres, car ce qui importe est de satisfaire Dieu, et non pas les hommes. Et Aïd moubarak saïd.