Ta vie en l'air. Un goût d'éternité

Par Fatym Layachi

Les journées sont longues. Le temps semble s’étirer à l’infini. Chaque heure paraît interminable. Et tu as déjà terminé tous les épisodes de toutes les saisons de toutes les séries que tu avais à terminer. Tu as liké tout ce qu’il pouvait y avoir de likable sur Facebook. Tu as commenté tous les tberguig que Zee t’a racontés. Et pourtant le soleil est encore tellement haut. Il faut que tu t’occupes. Du coup, tu décides de ranger. En septembre tu fais des listes, en juin tu fais des rangements. Ça te fait tellement de bien d’être organisée, ne serait-ce qu’en apparence. Aujourd’hui, tu as décidé de mettre de l’ordre dans cette pagaille qui encombre plus qu’elle ne meuble tes étagères. C’est qu’il y en a du bazar. Des tickets de cinéma, des catalogues d’expo, des magazines qui vantent des looks passés de mode depuis au moins trois saisons, des tickets de Carte bleu de soirées dont tu n’as aucun souvenir, un bracelet cassé depuis six mois que tu n’as jamais fait réparer, des tas de paperasse à trier que tu finiras par jeter.

Et entre deux vieux livres et des bibelots un peu moches, mais qui te rappellent de jolies vacances, tu tombes sur un album photo. Un album photo ! C’est assez fou de se dire que cet objet a quasiment disparu. Objet devenu une sorte de relique de cette époque où l’on faisait développer les photos et où l’on attendait de les découvrir avec impatience. C’était avant Instagram. La mémoire avait peut-être un peu plus de valeur. Tu feuillettes ces pages et tu replonges dans ces images d’enfance. Tu revois ta mère en brushing volumineux et épaulettes vintage à côté de ton père en pantalon de velours à taille trop haute et des moustaches de gaucho. Tu dois reconnaître que d’un point de vue style, il n’y a strictement rien à regretter des années 1980. C’était tout de même les années les plus tragiques de l’histoire de la mode. Malgré tout, tu es prise de nostalgie. Tu te mets à chercher ce cahier que tu as trimbalé quand tu étais ado et sur lequel tu collais des images, faisais écrire des mots à tes meilleures copines pour la vie, notais des citations ou dessinais tes rêves. Tu n’as jamais réussi à le jeter, ce cahier. Tu le feuillettes et tu replonges dans cette période où tu étais pleine de rêves, de révoltes, et surtout d’espoir. Tu revois des moments qui te semblent tellement loin. Une lettre froissée. Des bribes de vie à l’encre délavée. Des promesses jamais tenues. Une colère oubliée. Un chagrin surmonté. Des chansons niaises te reviennent dans les oreilles. Tu as oublié ce qui te troublait. Ta mémoire ne garde que ce qui t’émerveillait.

C’était beau, avant. Ça avait l’air simple, avant. Tu avais la vie devant toi, avant. Et là, tu es assise comme une conne sur ton lit, tenant entre tes mains des petits bouts de ce que tu as vécu, de ce que tu étais, de ce que tu n’es plus. Tu n’as rien rangé. Tu t’es souvenue. Tu vas presque en arriver à dire que c’était mieux avant. Et puis, même si ce n’était pas mieux, tu avais l’illusion que l’avenir serait forcément brillant. L’avenir tu y es. Et à part ton vernis à ongles, il n’y a pas grand-chose qui brille. C’est sans doute pour ça qu’ont été inventés les filtres Instagram. Tu te plaignais du temps qui passe trop lentement. Tu te rends compte qu’il passe trop vite. Que rien n’est éternel. Entre quinze et vingt ans, tu es sûre que tu peux changer le monde, que tout est possible, que pour toi ça sera différent, que jamais tu ne feras comme les vieux. Mais entre-temps, il y a la vie.