Bienvenue à vous. Zakaria Boualem est heureux de vous proposer une nouvelle semaine d’aventures trépidantes, pâle copie de la réalité qui nous entoure. Cette semaine, donc, une centaine de nobles représentants de notre police sont intervenus pour faire cesser un concert à Aïn Sebaâ. Ils sont même allés jusqu’à couper l’électricité. Cette diligence était motivée, apprend-on un peu surpris, par le fait que la salle ne disposait pas des éléments de sécurité nécessaires. Oui, de temps en temps, on devient la Suisse, c’est assez déstabilisant. S’ils appliquent la même rigueur un week-end de septembre, ils pourraient bien arrêter toute notre Botola. Suite à cette intervention, une bataille verbale s’est engagée entre les organisateurs de la soirée et les autorités. L’autorisation a-t-elle été dûment réclamée ? Les statuts de l’association sont-ils à jour ? Il est parfaitement inutile de s’embourber dans ce type de débats, puisque l’essentiel est ailleurs. Le nom de l’artiste qui devait se produire explique tout : L7a9ed, rappeur de son état qui a passé trois séjours en prison pour des motifs aussi flous qu’anecdotiques. Tout ceci est affreusement classique, il n’y a rien de nouveau dans cette affaire : un Etat qui se comporte comme un gamin vexé et qui s’acharne sur un musicien dont il assure au passage la promotion. Ce qui est plus surprenant, c’est la réaction de notre brave société. Zakaria Boualem a lu tous les débats sur le sujet. Il a constaté qu’il suffisait en général de quelques secondes pour que n’importe quelle discussion sur le sujet dérive sur les personnalités des protagonistes. Exemple :
– Ce type-là… L7a9ed, ils lui mènent vraiment la vie dure, ça va loin quand même…
– Mais il n’est même pas un bon rappeur.
– Ah… mais quel est le rapport ?
– Et d’abord, tu connais le type qui a créé la fondation où le concert a été organisé ?
– Euh oui, c’est un industriel qui fait du mécénat.
– Tu sais qu’il ne salue même pas ses employés ?
– Ah bon, et ?…
– Ben c’est comme Ayouch, on ne sait pas pour qui ils se prennent ces gens-là.
Chez nous, on juge les personnes, c’est une sorte de réflexe. Même pas leurs actes, ce serait trop simple. Non, on préfère scanner les intentions, multiplier les informations foireuses, diluer le débat dans des considérations subjectives, et surtout, dans le doute, dénigrer. Dans cette immense zone marécageuse de l’échange verbal où la rigueur n’a pas droit de cité, il est possible de dire ce qu’on veut, et de préférence n’importe quoi. Le hors-sujet n’effraye personne. On est ainsi capable de parler de la qualité de la musique d’un type qui a été enfermé trois fois à Oukacha, comme s’il suffisait d’être un mauvais musicien pour mériter un tel sort. Il est impossible de s’en tenir à des principes, des concepts, des textes. Oui, au Maroc, nous n’avons pas encore décidé d’être gouvernés par des textes. Nous sommes dans le pouvoir personnel, partout. Avec tout ce que comprend l’humain comme passions, comme dérives, évidemment. Zakaria Boualem, de temps en temps, croise des gens qui votent aux élections, en particulier à Guercif. Ils lui expliquent qu’ils le font pour « flane » parce qu’il peut les aider, qu’il a le bras long, et que c’est le mieux placé pour gagner, qu’il vaut mieux être avec lui, etc. Jamais de concepts, de principes, juste des personnes. Notez bien que ces braves électeurs n’ont pas le choix, car il est presque impossible de repérer le projet de société de nos partis. Vous savez, vous, ce que veulent faire de nous L’UC ou le RNI ? Il est bien possible qu’ils ne le sachent pas eux-mêmes. Non, ils restent des personnes, toujours. Voilà, c’est tout. Vive nous, et vive la Harira.