Ta vie en l'air. Sacrifices

Par Fatym Layachi

Il fait de plus en plus beau. Tu as de moins en moins envie de bosser. C’est une équation quasiment mathématique. Ton seul véritable centre d’intérêt en ce moment est l’analyse des différents régimes miracles en vue de l’été, de la plage et des maillots. Tu as pour nourriture spirituelle des séries aux intrigues aussi plates qu’invraisemblables mais qui te tiennent en haleine au fil des épisodes. Du coup tu as un peu l’impression que ton cerveau va se transformer en chamallow. Pour y remédier tu te dis qu’il faudrait que tu fasses quelque chose d’intelligent.

Tu sens que tu as besoin de réfléchir. Mais tu ne vas tout de même pas aller jusqu’à lire un pavé sur les dérives de la mondialisation ou sur les enjeux du nucléaire. Faut pas déconner ! Non, tu prends ton ordi. Mais cette fois ce n’est pas pour aller sur un site de streaming. Tu tapes sur Google « documentaire Arte ». Tu te dis que c’est bien Arte. C’est intelligent, Arte. Arte, c’est un peu comme garanti avec de vrais morceaux de matière grise à l’intérieur. Tu scrolles ton écran : les titres des docus ne font pas rêver des masses… Il faut reconnaître que tu es plus habituée à lire des noms de cocktails sur des cartes ou à faire défiler des images de look sur des magazines de tendances. Mais tout d’un coup, un titre attire ton attention : « Le droit de vote des femmes ». Tu mets Play. Et dès les premières minutes, tu es totalement fascinée. Tu as les yeux écarquillés devant ce film qui retrace cette révolution en racontant le parcours de celles qui ont consacré leur vie à ce combat pour l’égalité. Tu es pleine d’admiration pour ces femmes qui, alors qu’elles étaient considérées comme inférieures et censées être cantonnées à la cuisine, à la lessive et au ménage, ont pris des risques pour se dresser contre le système. Tu te sens émue, tu as envie de les remercier. C’est quand même fou ce qu’elles ont osé faire. Toi aujourd’hui, ça te paraît normal de pouvoir voter, avoir un compte en banque ou conduire. Tu fais partie de cette génération qui croit enfoncer les fenêtres entrouvertes de la liberté. Mais leur combat n’est pas si vieux. Elles ont changé la face du monde. Enfin une certaine partie du monde, parce que certaines obscures contrées continuent d’être obscures. Et toi, tu trouves sublime et héroïque ce courage. Elles ont osé remettre en question l’ordre établi, aller à l’encontre de la majorité. Elles ont pris des risques. Elles se sont sacrifiées pour les générations futures. Elles se sont sacrifiées pour toi et pour tes gosses. Cela dit, il y a quand même deux ou trois trucs que tu entends dans la bouche des féministes aujourd’hui, avec lesquels tu as vraiment du mal. Bien évidemment que tu es pour l’égalité complète des droits . Et tu ne comprends vraiment pas pourquoi ton frère, pour la simple et unique raison qu’il a une paire de couilles, hériterait deux fois plus que toi. Et qu’on ne vienne surtout pas t’expliquer que dans la tradition, le frère s’occupe de ses sœurs et de sa pauvre mère devenue veuve et bla bla bla. Parce que cette tradition n’existe plus. Et tu es absolument certaine que ton frère n’a pas prévu de te faire goûter de sa double part du gâteau. Alors, cette tradition, elle est sans doute très jolie et devait super bien fonctionner à une époque, mais elle n’est plus du tout réaliste en 2015. De là à trouver avilissant pour une femme qu’un homme lui tienne la porte, ça vraiment tu as du mal. C’est de la galanterie. Tu trouves ça bien la galanterie. C’est poli et élégant. Et puis on pourra te bassiner avec toutes les théories, des plus intelligentes aux plus scabreuses, la démarche d’une femme en talons est plus élégante que si elle traîne les pieds en Converse.