La température a grimpé. Tu sors sans veste. Tu reçois de plus en plus d’invitations pour des mariages. Tu as des envies de terrasse au soleil, de salades bien fraîches et de week-ends prolongés. Tu commences à penser à l’été. Tu envisages une petite cure détox. Tu as lu tellement d’articles sur les bienfaits des jus. Tu achètes de la betterave rouge, des pommes, des myrtilles et du gingembre. C’est de saison. C’est le printemps. Certains parlent d’hirondelles ou d’amour, toi tu ranges tes pulls en cachemire. Tu ressors tes sandales colorées, tes robes en lin et tes envies d’Italie. A bien y regarder, c’est de douceur que tu rêves mais comme tu ne sais pas où ça se trouve en libre-service tu vas te contenter d’aller t’acheter une ou deux jupes. Histoire de célébrer le printemps justement ! Et presque fatalement tu croises au moins une personne que tu connais.
Cette fois tu tombes sur cette fille dont tu n’es même pas sûre du prénom mais qui t’appelle « ma chérie » en te faisant quelque chose qui a tout l’air d’un salut chaleureux. Comment les gens peuvent-ils être si expansifs en se connaissant à peine ? Cela dit, dans un monde où le tberguig est un sport national, on a vite l’illusion d’être intime avec certaines personnes tant on connaît les détails les plus sordides de leur vie conjugale ou familiale. Enfin bref, elle t’appelle « ma chérie ». Tu souris. Tout en dégageant ses cheveux dans un mouvement qui met bien en évidence ce qui doit être sa nouvelle montre, elle te demande comment tu vas. Mais qu’est-ce qu’elle en a à foutre de comment tu vas ? Tu as très envie de lui dire que tu ne vas pas bien. Que tu doutes en ce moment. Que tes douleurs à l’estomac t’inquiètent. Que ta mère te déprime. Que ta famille t’agace. Et que tu n’en as rien à foutre de sa montre. Mais bien évidemment tu ne diras rien. Ça ne se fait pas. Ça ne se dit pas. Alors tu souris. Grâce à Dieu, tout va bien. Et pendant une quinzaine de minutes, vous parlez de tout et de rien. Mais surtout de rien. Puis chacune reprend son chemin après ce moment quasiment machinal de politesse.
Tu te demandes à quoi peut bien servir toute cette comédie humaine et pourquoi tu continues de la jouer. Il y a des personnes dans ta vie qui, finalement, ressemblent un peu à ce pull orange tout déformé qui traîne dans ton placard. Délavé. Obsolète. Te pompant inutilement ton énergie, comme ce pull orange encombre sans raison ton placard. Aucun éclat. Aucune utilité. Et pourtant tu ne t’en sépares pas. Tu te dis que tu devrais faire le ménage. C’est de saison aussi, après tout.
La vie serait tellement plus simple sans hypocrisie sociale, tu aurais l’esprit tellement plus tranquille. Tu ne seras pas focalisée à penser à ton dernier ou ton prochain mensonge. Tu te dis presque que tu te sentirais légère. Mais tellement seule… Et la solitude, ça tu ne sais pas faire. Tu as besoin d’un monde autour de toi, d’un monde qui tourne autour de toi. D’un monde que tu regardes avec ton propre miroir déformant, pour te fabriquer ces illusions que tu transformes en certitude. Et tu fais défiler les saisons en te mentant entourée de gens qui se mentent aussi. Avec cette triste impression d’avoir tout compris sans jamais prendre le temps de regarder quoi que ce soit. Tu crois te souvenir d’avoir lu quelque part que Talleyrand estimait que tout ce qui est excessif est insignifiant. Pour toi c’est un peu l’inverse, il y a tellement rien que tu le multiplies pour meubler.