Comment le procès de Benchemsi est devenu celui de Majidi

Le procès en diffamation contre Ahmed Réda Benchemsi s’est transformé, devant la justice française, en étalage des conflits d’intérêts entre public et privé au Maroc.

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Ahmed Réda Benchemsi et Mounir Majidi.
Ahmed Réda Benchemsi et Mounir Majidi. Crédit: DR

La 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris (TGI) a résonné vendredi 17 avril des échos de la haute politique marocaine, à l’occasion du procès en diffamation intenté par Mohammed Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi (partie civile) contre Ahmed Réda Benchemsi, ex-directeur du journal TelQuel et contre Louis Dreyfus, directeur de la publication du Monde.

En cause, un article publié dans les pages débats du Monde, en juin 2012. Intitulé La grande corruption règne en maître au Maroc, ce point de vue résumait les termes d’une enquête précédemment publiée par Ahmed Réda Benchemsi sur son blog Ahmedbenchemsi.com.

Baysys Morocco, l’objet du litige

Le journaliste y détaillait les résultats de ses investigations sur la société Baysys Morocco, au centre d’une opération financière avec la compagnie aérienne Royal Air Maroc pour un projet visant à aménager et équiper les avions pour une clientèle luxueuse. Benchemsi révélait alors que derrière Baysys Morocco, véhicule de l’investissement projeté, se cachait le secrétaire particulier du roi, Mohamed Mounir Majidi, via la société New Assets qu’il contrôle. Validé par un conseil d’administration de la Royal Air Maroc, société publique, et par un décret du Premier ministre Abbas El Fassi, le projet sera finalement avorté. Dans l’article de Benchemsi on peut notamment lire:

Le Secrétaire particulier du roi crée en août 2010 BaySys Morocco, une coquille vide sans locaux ni personnel qu’il contrôle à 100% via deux sociétés écrans.

Le duel

La scène était dressée pour un combat qui a tenu toutes ses promesses entre la partie civile et la défense du prévenu. D’un côté Ahmed Réda Benchemsi, épaulé par Me William Bourdon, plaideur médiatique qui a appelé deux témoins, les journalistes Catherine Graciet et Ignace Dalle.

De l’autre, les avocats de Mohammed Mounir Majidi, Mes Eric Dezeuze et Aurélien Hamelle, assistés de Hicham Naciri. L’avocat le plus couru de Casablanca n’a pas plaidé mais a assisté à toute l’audience, qui s’est prolongée jusque tard vendredi soir, faisant rater à Me Naciri son avion retour. L’après-midi a été animée avec des échanges parfois vifs et un quasi incident d’audience provoqué par Me Bourdon.

La substitut du procureur demande la relaxe de Benchemsi

Citant trois passages qu’ils estimaient attentatoires à la réputation et à l’honneur de leur client, les conseils de Majidi se sont attachés à démontrer les failles de l’enquête du journaliste, l’absence de bonne foi et même son « animosité » personnelle contre Majidi.

Des arguments réfutés en bloc par le prévenu, qui a bénéficié du témoignage de moralité d’Ignace Dalle, ancien correspondant de l’AFP à Rabat, qui a loué son « courage et son sérieux ». Les développements détaillés de Me Hamelle sur les limites de la liberté d’expression, s’appuyant notamment sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, n’ont en revanche pas semblé convaincre la substitut du procureur qui a requis la relaxe de Benchemsi.

Une plaidoirie qui tourne au réquisitoire

Au cours de sa plaidoirie, en clôture de l’audience, Me Bourdon s’est livré à un véritable show oratoire, transformant le procès en diffamation contre son client Ahmed Benchemsi en un véritable réquisitoire contre le système de gouvernance marocain et notamment contre Mohammed Mounir Majidi.

Inspiré, fougueux, parfois lyrique, l’avocat s’est d’abord attaché à démonter l’argument de la partie civile selon lequel le secrétaire particulier de Mohammed VI n’est pas un fonctionnaire : « Il est nommé par décret royal, c’est un personnage public, bien sûr qu’il a une fonction publique. De qui se moque-t-on ? ».

Lire aussi : Portrait-Enquête. Qui est vraiment Mounir Majidi ?

Certainement encouragé par les réquisitions « douces à [s]es oreilles » du parquet, Me Bourdon a défendu « l’honneur », le « courage » et le « professionnalisme » du journaliste demandant à la cour de le relaxer. « Comprenez-bien, votre décision est très attendue à Rabat. On attend de vous de fournir à ces messieurs [de la partie civile] un trophée décerné par la justice française, une sorte de mise en garde qui vaudrait pour les autres journalistes trop curieux. Ce serait la jurisprudence Majidi. Ce serait trop beau. »

La décision du tribunal sera rendue le 12 juin 2015.

Lire aussi : Mounir Majidi poursuit Goud en justice

Youssef Malha

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  • Pas très objective votre analyse !

    C’est bien de vouloir defendre votre ex boss mais celui ci a avancé que Mounir El Majidi a perçu des commissions dans le
    cadre de la prise de participation de la RAM dans le capital de sa
    société BaySys Maroc.

    L’affaire n’étant pas entre les mains de la justice marocaine mais française (qu’on ne peut pas taxer de pro-makhzen ), ARB doit apporter les preuves de ce qu’il a avancé dans le journal le Monde sinon c’est de la pure calomnie.

    Je n’ai aucune sympathie pour ce Majidi mais j’ai aussi horreur des journalistes-militants ( ça n’existe qu’au Maroc) qui ,a chaque fois qu’ils dérapent, se disent victimes du régime ..

    Un bon journaliste respecte la déontologie journalistique et ne devient pas le « nègre » d’une partie où d’une autre.

    Il doit être véritablement indépendant dans ses écrits pour être au dessus de tout soupçon !!