Ce soir, tu dînes avec Zee et ses collègues. Tu sais d’avance que, au bout d’une vingtaine de minutes, tu te demanderas ce que tu fous là et que tu rêveras d’être affalée sur ton canapé à mater ta série du moment. Mais bon, Zee adore ses collègues. Il faut savoir que les sentiments de Zee sont proportionnels au nombre de ô qu’elle met quand elle adore. Et il se trouve que quand elle te parle de ses compatriotes d’open space, de ses compagnes de pause clope, elle en met au moins sept ô. Toi, tu adores Zee, alors tu finis par céder et accepter ce dîner entre filles. Tu te demandes un peu pourquoi les filles, par le simple fait de passer une soirée sans mecs, en font tout un concept.
Elles sont donc ravies de passer une soirée entre copines, mais à peine arrivées dans ce resto à la lumière qui donne bonne mine que leur seul centre d’intérêt est les mecs ! Comme c’est surprenant ! Avant même de poser son cul sur une chaise, il faut repérer quels sont les mecs qui sont là. Et où ils sont assis. Bien évidemment, il faut scruter les potentiels beaux mecs ou bons partis. Mais il y a plus urgent. Il faut avant tout scanner l’endroit pour vérifier s’il n’y a aucun garçon avec qui il y aurait un passif. Et fatalement il y en a ! A quoi d’autre fallait-il s’attendre dans une vie en microcosme ? Zee panique. Elle a géolocalisé le fameux salaud. Oui, le fameux ! Celui qui lui a promis la lune (en l’occurrence des vacances à Capri), mais qui l’a laissée en plan dans un resto sans même payer l’addition. Du coup, il faut imaginer toute une stratégie pour que 1. Il remarque Zee et qu’il la trouve canon et heureuse 2. Il se dise qu’elle ne l’a pas remarqué. Donc qu’elle s’en fout. Ce qui est logique vu qu’elle est canon et heureuse. Pendant l’exécution de ce stratagème pour le moins scabreux, tu prends conscience que les hommes ont bien raison de trouver les femmes si compliquées. Leurs soirées foot, PlayStation ou drague doivent être sacrément plus simples ! Bien évidemment, tu ne diras pas ça à voix haute, de peur de te faire lyncher par ces féministes du samedi soir. Parce que, bien sûr, elles sont très fières de s’affirmer comme telles. Et vas-y que ça saupoudre les discussions de grandes théories ou d’expressions conceptuelles pour lesquelles tu n’es pas très sûre qu’il existe une définition. Ta voisine aux cheveux impeccables passe en revue ses ex. Enfin, juste ceux avec qui elle a cru construire quelque chose et elle réalise qu’avec la vie qu’elle a ici et maintenant, et bien ça n’aurait sûrement pas collé. Son parcours pour arriver à un projet pro qui tienne la route n’aurait pas fait beaucoup de place à un couple qui se développe.
Tu l’écoutes se mentir à elle-même et justifier ses échecs sentimentaux par sa prétendue ambition. Tu n’en crois pas un mot. Elle non plus, sans doute. L’homme a peut-être inventé la mauvaise foi pour se consoler. Il y a aussi celle qui est sûre d’avoir trouvé sa voie, celle qui est convaincue qu’après une séance de coaching et trois infusions tilleul-gingembre-fleurs de sureau elle a les clés de la sérénité. Elle vous explique que l’argent ne fait pas le bonheur. Tu as envie de lui répondre que lsa pauvreté non plus. Mais comme tu es polie, tu souris et fais tournoyer ta fourchette au milieu de ta salade de jeunes pousses. En même temps, elle s’imagine que le langage des horoscopes est le langage de la vraie vie , alors qu’elle ne vienne pas s’étonner si elle a du mal à interagir avec ses semblables. Le seul sujet de conversation récurrent reste une sorte de plaidoyer de célibattantes ni convaincues ni convaincantes que la vie sans mecs c’est vachement mieux. Tu aimerais y croire, mais tu sais à quel point chacune d’elles rêve secrètement du prince charmant. A défaut d’avoir maté une série, tu as finalement l’impression de passer la soirée devant un mauvais remake de Sex and the city. Les robes qui te font rêver en moins, l’hypocrisie qui te révulse en plus.