« La guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ». Cette fameuse formule du général allemand Karl Von Clausewitz est toujours d’actualité et décrit le mieux ce qui se passe au Yémen en ce moment. L’ancien « Pays heureux », comme le qualifiaient les historiens arabes pour sa richesse et sa grande civilisation, replonge, après sa réunification en 1990, dans la guerre civile, les luttes fratricides et les conflits confessionnels. Mais si on élargit l’image, se profile une autre guerre, froide, ancienne et non déclarée, entre deux grandes puissances régionales : l’Iran et l’Arabie Saoudite. Depuis la révolution islamique iranienne en 1979, les deux pays s’observent en chiens de faïence, multiplient les actes de malveillance, les coups de poignard dans le dos, et surtout les guerres par procuration. La boîte de Pandore ouverte par le Printemps arabe et l’effondrement de certains États, et notamment l’Irak et la Syrie, ont offert une extension du domaine de la lutte et de la haine entre Riyad et Téhéran. Une partie d’échecs dont chaque déplacement provoque des milliers de morts et de réfugiés. La situation au Yémen fait partie de ce bras de fer mortel entre deux théocraties aveugles et moyenâgeuses, mais dopées aux pétrodollars. Et le Maroc dans tout ça ?
Le royaume chérifien a choisi depuis très longtemps son camp. Hassan II n’a jamais caché sa méfiance et même son aversion pour le régime des ayatollahs, et les amabilités qu’il proférait à l’égard de l’Imam Khomeiny sont légendaires. Mohammed VI ne déroge pas à cette règle. La proximité et la solidarité avec les monarchies du Golfe, et notamment l’Arabie Saoudite, sont des constantes de la diplomatie marocaine. Les remous du Printemps arabe ont resserré les liens entre ces monarchies, et une dimension économique et financière est venue se greffer et renforcer leurs rapports. La paix sociale a un prix et nos « amis » du Golfe comptaient bien y participer. Sur cette question, les intérêts économiques, politiques et militaires penchent du côté de l’Arabie Saoudite, et il faut être inconscient pour les dénoncer. La participation militaire du Maroc, même limitée, à l’opération « Tempête décisive » au Yémen, paraît justifiée et acceptable, si on la jauge à l’unique mesure de l’intérêt et la raison d’État.
Sauf qu’il y a un bémol. Contrairement à d’autres interventions précédentes, qui se déroulaient dans un cadre onusien et international, cette opération se déroule dans un grand flou légal. Des soldats marocains prennent part à des combats au Yémen, sans explications juridiques claires et probantes. La guerre est menée sans qu’aucun pays avec lequel le Maroc est lié par un accord de coopération militaire n’ait été attaqué ou agressé. On n’est certainement pas dans une configuration de déclaration de guerre, encadrée par les articles 49 et 99 de la Constitution, mais plutôt dans une zone de gris juridique que l’État marocain ne se donne pas la peine de clarifier ou élucider. Sur une question aussi importante que l’usage de l’armée marocaine, symbole de la souveraineté nationale, le parlement aurait dû être un espace de débat et de consultation. Un grand travail de pédagogie aurait pu être mené par le gouvernement pour expliquer les raisons de la participation de soldats marocains dans un conflit étranger. Mais au lieu de tout ça, on se contente de communiqués laconiques et de déclarations gouvernementales vagues et inutiles. Les intérêts de l’État marocain et les principes de droit peuvent bien se combiner, il faut juste en faire bon usage.