Ta vie en l'air. Psyché nocturne

Par Fatym Layachi

Zee a très envie de revoir cet ersatz d’Apollon aux cheveux gras et aux sms bourrés de clichés et de fautes d’orthographe. Tu te demandes ce qu’elle a bien pu lui trouver quand elle a accepté de lui donner son numéro de téléphone la semaine dernière. Tu te dis qu’elle a dû se poser la même question à ton sujet tellement de fois. Alors, tu ne cherches pas de réponses. Et tu acceptes de l’accompagner à cette soirée où il lui a donné rendez-vous. Tu es une amie qui prend ce rôle très au sérieux. Cette soirée est censée être incroyable, toi, tu sais qu’elle ressemblera aux dizaines d’autres. Les mêmes visages et les mêmes sourires. Les mêmes décolletés de sirène de pacotille. Les mêmes cigares pour jouer les colosses. La même musique. Mais bon, tu y vas. Et puis, sortir pour faire ce qui s’appelle la fête est sans doute ton activité la plus assidue.

Ce n’est pas tant que tu adores sortir. Ton problème est que tu ne sais pas rentrer. Alors, dès que la nuit tombe, pour éviter d’être seule face à ta télé, ton écran d’ordi, celui de ton iPhone ou tes questions métaphysiques, tu sors suffisamment selon les patrons de boîtes toujours ravis de vous accueillir, ta carte bleue et toi. Trop selon ta mère et son téléphone qui reste allumé toute la nuit, quasiment toutes les nuits. Et de manière absolument indécente selon ta foi envers qui tu épanches ta culpabilité à coups de jus dégueu et de cures détox. Tu ne t’amuses pas forcément, c’est juste que tu ne sais pas t’endormir. Et ce n’est pas nouveau. Tu as toujours fait beaucoup de cauchemars. Ta mère t’a prise dans ses bras quand tu étais petite. Tu t’es sentie protégée. Mais jamais vraiment rassurée. Ce que tu n’as pas trouvé dans les bras de ta mère cernée, tu fais semblant de le chercher chez des garçons mal rasés. Et c’est ce que Zee a l’air de faire également ce soir. Faisant semblant de s’extasier comme tu as dû le faire tant de fois sans raison. C’est à se demander ce qu’on cherche. Si dormir c’est mourir un peu, il semblerait que tu as d’ores et déjà gagné ton ticket pour l’éternité.

Tes nuits ne sont pas forcément plus belles que tes jours. Tu tentes juste d’épurer tes angoisses et tes doutes. De la catharsis bas de gamme entre volutes de fumée et vodka diluée. Tu connais la désolation sordide des boîtes de nuit, tu la portes dans ton sourire figé. Et pourtant, ne sachant où aller, tu y vas. Pas en quête de sens. Juste pour la forme. Quant au fond, à quoi bon ? La musique est de toute façon trop forte pour s’entendre, peu importe ce qu’on a à dire. Et puis, ce n’est pas vraiment le moment de se poser des questions existentielles. Tu n’es pas chez le psy. Tu es en boîte. Ta robe, ton sac et tes chaussures sont canon. N’est-ce pas le principal ? Et ce n’est pas parce que tu es impeccablement bien fringuée que tu vas bien. C’est même souvent le contraire. Si tu étais en paix avec toi-même, tu ne ferais pas autant gaffe à l’image que tu renvoies. Tu sortirais en jean, basket et sourire Colgate, comme ces filles toutes naturelles, éternellement heureuses, saines et nubiles, qui n’ont pas besoin de se maquiller. Ces filles pour qui le bout de la nuit est aussi joyeux que ces publicités qui te donnent la nausée. Tu vis dans un monde de merde. Mais tu n’as pas peur. Kubrick l’a compris avant toi. Tu l’as compris trop tard. Et alors ? Tu n’as pas peur. Tu crèveras en silence. Poliment. Et puis, de toute façon, la seule chose qui te tienne en vie c’est de te savoir mortelle. Un jour tu crèveras. Que tu sois poussière, cendre ou lumière, ça ne change pas grand-chose. Tu ne seras rien.