Mes bons amis, il ne vous aura pas échappé que nous traversons une période angoissante. La planète est en transe, elle est prise de convulsions, c’est affreux. Il paraît pourtant que le pire est devant nous. A défaut d’idées brillantes pour répandre la sérénité, Zakaria Boualem vous propose de rigoler un peu. Oui, il faut se recentrer sur les fondamentaux, laisser au reste de cet estimable magazine la pénible description de notre réalité, et se consacrer, ici, à un petit moment de détente.
Voici donc l’histoire d’un ami de Zakaria Boualem, un certain Abdelqouddous Boufous, restaurateur de son état. Pour faire tourner son affaire, cet homme a décidé de solliciter de nos autorités une licence d’alcool. Il a donc constitué un dossier et s’est rendu à l’administration concernée pour le déposer. Jusqu’ici tout va bien, ou plutôt normalement mal pour un pays où l’alcool est interdit aux musulmans (mais vendu en grandes surfaces). Arrivé au bureau d’ordre, le bon Abdelqouddous Boufous a présenté son dossier à l’employé de l’administration. Et voici que nous basculons. Jugez-en plutôt, car voici le dialogue :
– Je veux déposer un dossier, le voici…
– C’est un dossier pour quoi ?
– Une demande de licence d’alcool.
– Vous êtes fou ? Ça ne va pas bien ?
– Euuuhh, pourquoi ?
– Vous savez quel jour nous sommes ?
– Vendredi.
– Comment voulez vous que j’accepte un dossier d’alcool le vendredi, le jour de la prière ? Vous n’avez aucun principe ?
– Je fais quoi, alors ?
– Revenez lundi.
– Ok, vous pouvez vérifier juste qu’il ne manque aucun papier ?
– Attendez que je regarde… Non, c’est bon, ça a l’air complet, revenez lundi pour le déposer ou ykoun l’khir…
Il faut que je vous précise que cette histoire est vraie. Certes le dialogue est un peu stylisé, mais il respecte scrupuleusement le déroulement des faits. D’ailleurs, Zakaria Boualem est incapable d’imaginer un tel délire, je vous le garantis. Revenons au sujet, et merci.Cet employé mérite une enquête, car il faut comprendre comment il en est arrivé à cet étrange compromis avec ses convictions intimes. Accepterait-il, par exemple, de prendre en charge une demande d’autorisation de construire un hôtel un vendredi ? Exigerait-il des précisions sur la nature des boissons qui y seraient servies avant de prendre cette décision ? Et pour un supermarché ? C’est un océan de questions qui se propose à celui qui tenterait d’analyser cette affaire.
Zakaria Boualem a lu un jour l’interview d’un sociologue qui parlait de « la petite épicerie du sacré », il y a aussitôt pensé en écoutant l’histoire de Abdelqouddous Boufous. Armé de sa foi, le Marocain parcourt les rayons d’un pas agile et sélectionne les articles qui lui conviennent. Le choix est large. Il y a bien sûr les produits de base, importants, le jeûne ou la prière du vendredi, par exemple. Mais il y a aussi des produits allégés, qui fonctionnent très bien, comme « pas d’alcool pendant le ramadan »…
On fait tous plus ou moins pareil, il est très difficile de tout prendre. Notre héros de l’administration, lui, a dépassé le stade de cette petite épicerie du sacré, il conçoit ses propres produits, c’est un inventeur. Il a donc conçu le « pas de dossier de vente d’alcool le vendredi ». Il pourrait inventer demain le « pas de paris en ligne pendant le ramadan, la nuit » ou « pas de sexe illégal aux heures de prière », les possibilités sont infinies. Elles le sont d’autant plus qu’il s’agit de produits très allégés…Chercher la cohérence est inutile, on est tous plus ou moins dans ce type d’attitude, Zakaria Boualem compris. Ce qui ne l’empêche pas de trouver ça drôle, et merci.